Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Fontainebleau, le 10 Brumaire an XIII (1er novembre 1804)

Ta lettre du 1er courant m'est parvenue pendant mon séjour à l'hôpital. M'en voilà quitte encore une fois, mais ce ne sera sûrement pas pour longtemps. Je me suis, en effet, tant donné de mal en commençant et ma santé s'en ressent tellement qu'il faut absolument que j'aille passer un quartier d'hiver auprès de vous pour me rétablir tout à fait. Mon grade d'instructeur n'est qu'ad honores, et il n'en est résulté jusqu'à ce moment pour moi que de la fatigue et de l'ennui : deux heures de théorie et le plaisir d'aller souvent deux fois par jour à l'exercice pour instruire des recrues, voilà jusqu'à ce jour tout ce que nous en avons retiré.
Notre corps est à peu près dans ce moment composé de 700 hommes. Les cinq compagnies qui forment le bataillon sont commandées par des officiers, sous-officiers et caporaux de la Garde. Tous nos messieurs sont donc de simples soldats, et Dieu sait quand cela finira !
Ainsi que je te l'annonçais dans ma dernière, notre régiment est parti le 4 pour aller passer la revue de l'Empereur. Le 6, les Vélites ont assisté à la grande parade ; le 8, ils sont repartis de Paris, et ils arrivent en ce moment bien crottés, bien mouillés et aussi fatigués qu'on peut l'être. On a paru assez content des manoeuvres qui ont été commandées par le prince Louis en personne, et les journaux n'ont pas manqué d'en faire mention. Je ne suis pas trop fâché que la réponse du ministre doive être longue à me parvenir ; quand j'entrerais maintenant à l'Ecole spéciale, je n'en serais pas plus avancé ; en effet, pourvu que j'y puisse être reçu pour le 1er germinal prochain, je n'en sortirai pas moins au 1er vendémiaire An XIX. En attendant, je repasse mes mathématiques et tout ce qu'il faut savoir de mes autres études pour ne pas me trouver dans les dernières classes. Nous employons encore, pour me faire toucher mes 50 livres tous les mois, un assez mauvais moyen. Je n'ai vu qu'une seule fois l'ami Frédéric, et he ne connaîtrais pas encore le général Bellavesne si le hasard ne m'en eût pas procuré l'occasion. Enfin, tu ne me donnes point ton adresse à Paris.
Tout bonnement, mon cher ami, envoie-moi ton propre mandat à vue sur Paris ; j'en trouverai facilement le placement. La poste ne met que trois jours à se rendre de Tours à Fontainebleau et, d'ailleurs, dans aucun cas, les lettres ne peuvent se perdre ; d'un autre côté, si je dois rester encore longtemps ici, je m'arrangerai de manière à faire la connaissance de M. Sellier, négociant en cuirs, et je l'engagerai à m'accorder un crédit. Envoie-moi donc, en réponse à celle-ci, un mandat sur la capitale, et fais-le de 100 livres, afin d'éviter l'inconvénient d'un départ précipité.
L'Empereur doit se rendre ici le 8 frimaire, pour y recevoir le pape qui arrive le 10 ; on présume que nous irons au-devant de Sa Sainteté, que nous serons sa gade penant son séjour, et que nous l'accolmpagnerons enfin jusqu'à Paris. On fait au château impérial des réparations immenses ; il arrive tous les jours des ameublements superbes. Le pape fera, dit-on, dans cette ville, sa résidence ordinaire.
Adieu, mon bon ami. Je te félicite d'avoir heureusement terminé tes vendanges ; j'espère que l'an prochain, d'une manière ou de l'autre, tu ne les feras pas sans moi.
Ton sincère ami.
P.S. J'oubliais encore de te dire que nous avions, entre autres choses, l'avantage d'avoir des cuisinières ; la soupe n'en est pas meilleure pour cela, mais au moins point de savate. Respect et amitié chez toi.

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