Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Au camp de Sochaczew , 4 octobre 1807

Mon pari est définitivement pris : je reste militaire. Tout compte fait, mon métier en vaut en autre. Nous éprouvons souvent, il est vrai, de rudes fatigues, mais nous finissons presque toujours par trouver le moyen de nous dédommager. Par exemple, après-demain, nous quittons le camp pour aller prendre nos quartiers d'hiver, et j'espère avoir ma part de quelque château où je passerai la mauvaise saison.
Il n'en est pas moins vrai que nous maudissons de bon coeur et la Pologne et les Polonais ; mais comme, effectivement, nous ne sommes que des machines animées, que chacun fait mouvoir comme il le veut, les plus sages prennent leur parti et mangent, tout en jurant, les économies de la campagne passée.
Celles d'un pauvre sous-lieutenant n'ont pas pu résister à l'achat d'un cheval que les Russes m'ont tué huit jours après, au ressemelage et remontage de plus de douze paires de bottes, au remplacement enfin de presque tous mes effets. Néanmoins, je suis encore au niveau, et voici l'état actuel de ma maison militaire :
1° Espèces : 360 francs
2° Dame Vestale, qui se trouve fort bien des soins de M. Créola, autrement dit Caracalla, notre valet de chambre commun ;
3° un porte-manteau bien garni ;
4° Bouffarde, ma pipe et fidèle compagne, qui me vient des Baskirs, habitants du Gange.
Ajoute maintenant à cela la santé la plus robuste, un bras vigoureux, le ton le plus décidé, et conviens de bonne foi que je suis à mon poste. Ces coquins d'Anglais ont donc pris Copenhague ? C'est un grand coup pour eux, qui fermera actuellement la Baltique à tout le continent. Nous avons, il est vrai, Stralsund et l'île de Rugen, mais notre commerce n'en ira pas mieux pour cela.

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