Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Grossbollenhagen, près Rostock , 9 mai 1811

Tu verras par la date de ma lettre que nous sommes maintenant à 140 lieues de Francfort. Mon régiment, dont l'état-major est à Rostock, borde la Baltique depuis Ribnitz jusqu'à Wismar. Nous voyons presque tous les jours des bâtiments français, danois et suédois, armés en course, qui nous amènent dans le port de Rostock des bâtiments de transports étrangers, capturés en pleine mer. On dit que nous nous embarquerons bientôt pour la Suède. Je ne crois pas qu'on doive ajouter beaucoup de foi à de pareils bruits.
En venant de Francfort à Rostock, nous nous sommes croisés avec presque tous les régiments de l'armée d'Allemagne ; tout le monde était alors en mouvement ; nous nous dirigions tous sur Magdebourg ; le 108è régiment de ligne avait même déjà passé l'Elbe et était entré en Prusse. Il est certain qu'il y avait alors quelque chose de nouveau sur le tapis, et que la marche des troupes a terminé quelque grande discussion.
Je suis de plus en plus satisfait de la manière dont on me voit au régiment. Mon colonel me comble d'amitiés. J'ai déjà été chargé de quelques missions qui prouvent de la confiance de sa part et dont je me flatte de m'être passablement acquitté. Je commande une belle compagnie forte de 125 hommes ; mon métier me plaît plus que jamais, et je t'assure, mon ami, que je m'estime aussi heureux qu'il est possible qu'un militaire le soit.
A l'argent près, tout irait bien. Les officiers sont en général assez économes dans le régiment ; cependant, je n'en connais pas un seul qui ait le gousset garni : 150 francs par mois ne mènent pas un capitaine très loin, actuellement surtout qu'on a la manie d'entasser fêtes sur fêtes. Aujourd'hui, par exemple, nous rendons aux habitants de Rostock un assez joli bal qu'on nous nous a donné à notre arrivée ; dans quinze jours ce sera la fête de notre colonel ; dans quatre mois ce sera celle de l'Empereur ; viennent ensuite celles de S.M. l'Impératrice ; l'anniversaire d'une douzaine de batailles qui ne nous ont pas valu un sol, et qui nous ont coûté dix ou douze milliers de bras et de jambes ! Enfin, il n'y a pas jusqu'aux enterrements de trois ou quatre de nos camarades, qui se laissent mourir assez régulièrement tous les ans, qui ne nous enlèvent quelques journées de solde, sans y comprendre les secours accordés aux Polonais, Saxons, Bavarois, Hessois, Westphaliens, Hollandais, Mecklembourgeois, etc., etc., que les Espagnols nous renvoyent de temps en temps, très légers de gloire et d'argent, mais en récompense exterminés de blessures ! Fais-moi la grâce de remettre à M. Bellet de ma part 450 francs pour le compte de M. Morin, officier payeur des bataillons de guerre.
Adieu

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