Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 20 mai 1815

J'ai reçu, mon bon ami, ta lettre du 11 courant. M. Hurelle est venu me rendre visite ; ce jeune homme me paraît rempli d'honneur. Malheureusement, il ne se trouve pas dans une situation forte heureuse ; il paraît que ses parents ne sont pas riches et ne peuvent pas venir à son secours. Il m'a prié bien instamment de te remercier du service que tu lui as rendu, et je te supplie de l'excuser du retard qu'il apporte au remboursement de son billet. Il m'a promis de se mettre en mesure de me rembourser d'ici à un mois. L'organisation de la Garde impériale n'est pas encore achevée. Il espère rentrer dans son régiment.
Rien de nouveau pour moi jusqu'à ce moment. Je suis toujours fort tranquille à mon dépôt. Je fais dans Paris mes rondes et mes visites de postes. J'aime mieux rester au dépôt du 4è que de commander des gardes nationales, ou de m'en aller à la suite d'un autre régiment. Comme nous n'avons plus maintenant de demi-solde à redouter, j'ai fait ma demande et j'attends tranquillement chez moi qu'on me donne des ordres.
Ma chère mère se porte à merveille toujours. Je la vois tous les jours. Elle te fait mille compliments.
L'horizon politique paraît s'éclaircir depuis quelques jours ! Nos avant-postes fraternisent avec ceux des étrangers. L'armée française va prendre une attitude plus importante que jamais. On aura peur de nous et on s'arrangera !
On parle, mais, je crois, sans beaucoup de fondement, d'un nouveau changement dans le ministère. On assure que Carnot, le célèbre Carnot, va prendre le portefeuille de la guerre ! Le prince d'Eckmülh irait commander une armée. Le prince de Canino (Lucien Bonaparte) serait ministre de l'intérieur ! Merlin de Douai est définitivement ministre de la justice ! Le maréchal Brune est rentré en grâce ! Le brave Lecourbe va commander 25.000 hommes sur les frontières !... Les royalistes ne peuvent expliquer de pareils retours sur nous-mêmes et commencent à ne plus désirer que la paix.
Je pnse, moi, qu'un vaste champ à l'honneur national est ouvert pour le mois prochain ! L'Empereur veut seulement l'indépendance de la France. Les patriotes de 1789 et de 1790 l'entourent ; l'armée applaudit aux nobles projets que l'on médite. Le commerce se tait, mais le peuple crie partout : "Vive la patrie ! Vive la liberté !" et : "Vive l'Empereur !"
Si je suis assez heureux, mon ami, pour te voir au mois de mai prochain, je t'embrasserai avec plus de plaisir encore que j'en ai éprouvé au mois de novembre.
Adieu. Je vous embrasse tous.

Votre nouveau préfet, M. de Miramon, est-il installé ?

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