Davout, au Ministre de la Guerre, major général
Presbourg, décembre 1805

Monsieur le Maréchal, lorsque Votre Excellence m'adressa l'ordre de me porter à marches forcées sur Brünn avec les divisions Friant et Gudin et ma cavalerie légère, la première de ces divisions était cantonnée sous les murs de Vienne, l'autre venait d'occuper Presbourg, où je me trouvais de ma personne au moment où vos ordres parvinrent à Vienne, le 8 au soir ; la brigade de cavalerie légère, commandée par le général Vialannes, occupait des postes sur la rive droite du Danube, vis-à-vis Presbourg.
Une brigade de la division de dragons du général Klein avait suivi le mouvement de la division Gudin sur Presbourg.
Le 1er régiment de dragons, faisant également partie de la division Klein, était détaché sous les ordres du général Heudelet qui, avec un corps de 800 hommes d'infanterie, avait été chargé de battre la campagne et de balayer tout ce qui pouvait se trouver d'ennemis entre la rive droite de la March et la grande route de Vienne.
Le dernier régiment de la division Klein était cantonné à quelques lieues au delà de Vienne.
La division Friant se mit en marche dans la nuit du 8 au 9, et vint prendre position le 10 à sept heures du soir à l'abbaye de Raygern, c'est-à-dire plus de trente-six lieues du point de son départ.
Une marche aussi extraordinaire affaiblit tellement la division, qu'au moment où elle se rendait sur le terrain que Votre Excellence lui avait assigné, au jour de la bataille, elle ne comptait pas 3.000 combattants.
Quelque célérité que l'on eût apportée dans l'expédition des ordres, l'éloignement de la division Gudin, de la cavalerie légère du général Vialanes, et de la rande majorité de la division de dragons du général Klein, ne leur permit pas d'arriver assez à temps pour prendre part à l'action.
Le seul 1er régiment de dragons put rallier la division du général Friant avec le détachement du général Heudelet, et l'on combattit avec ces troupes.
La division du général Bourcier prit position avec la division Friant le 10 au soir, à Raygern.
Avanat de la porter sur le terrain, je fis former la division Friant en trois brigades :
La 1ère, composée du 108è régiment de ligne et des compagnies des voltigeurs du 15è régiment d'infanterie légère, et aux ordres du général Heudelet.
La 2è, composée du 15è régiment d'infanterie légère et du 33è régiment de ligne, fut commandée par le général Kister.
Enfin la 3è, composée des 48è et 111è de ligne, le fut par le général Lochet.
J'avais prescrit au général Friant de faire porter la brigade du général Heudelet sur Turas, d'où elle devait chasser l'enneli, de la diriger ensuite sur Sokolnitz ; les deux autres brigades avaient ordre de suivre par échelons.
La division de dragons du général Bourcier suivait celle du général Friant pour être à portée de la soutenir.
Ayant appris pendant la marche que le 9è régiment d'infanterie de ligne du 4è corps d'armée était vivement attaqué à Telnitz, j'ordonnai au général Friant d'y faire porter sur-le-champ sa division.
Le général Heudelet fut chargé d'attaquer avec sa brigade le village de Telnitz, que le 3è régiment de ligne, après la plus belle résistance, avait été contraint d'abandonner.
Les compagnies de voltigeurs du 15è régiment d'infanterie légère et le 108è de ligne se précipitèrent dans le village, sans avoir égard à 5.000 à 6.000 Russes ou Autrichiens qui l'occupaient et le défendaient avec acharnement.
Après plusieurs charges, pendant lesquelles le 108è enleva à l'ennemi deux drapeaux et prit et reprit plusieurs pièces de canon, cette brigade fut contrainte de céder au grand nombre ; ele fut en outre forcée à ce mouvement rétrograde par le feu que dirigea malheureusement sur elle un des régiments de la division Legrand, dont elle eut beaucoup à souffrir.
Dans ces chocs réitérés, un corps russe considérable, après avoir mis bas les armes, eut la perfidie de les reprendre contre le 108è régiment, lorsque celui-ci ne le considérait plus que comme prisonnier.
Ce fut à Telnitz que le chef de bataillon Chevalier, qui avait passé le premier un pont à la tête du 108è, fut enveloppé avec sa troupe par un très-grand nombre d'ennemis, sous l'effort desquels lui et les siens n'eussent pas manquer de succomber, si le chef de bataillon Lamaire, du même régiment, ne fût parvenir à se faire jour et à les débarrasser après l'action la plus sanglante.
L'ennemi se présentant en avant du village de Telnitz, lé général Bourcier ; qui avait été chargé d'en observer les mouvements et de le contenir sur ma droite, fit exécuter une charge à sa première ligne, composée des 15è, 17è et 27è régiments de dragons ; cette charge, faite avec le plus grand ordre, força l'ennemi à se retirer précipitamment derrière un fossé que ne pouvait franchir notre cavalerie.
Dans cet instant surtout, la division de dragons eut beaucoup à souffrir de la mousqueterie et de l'artillerie de l'ennemi, dont elle se trouvait à petite-portée.
L'ennemi, manoeuvrant pour m'envelopper, déboucha avec de l'artillerie par Sokolnitz ; je le fis attaquer par les cinq régiments de la division Friant disposés par échelons.
La brigade du général Lochet fut présenté la première à cette attaque ; le 48è régiment, qui en tenait la tête, chargea à la baïonnette, parvint à s'emparer des premières maisons à l'extrême droite du village, et fit bientôt des progrès rapides, chassant l'ennemi de maisons en maisons.
Le 48è régiment, après avoir enlevé deux drapeaux, s'était rendu maître de plusieurs pièces de canon, était débordé et allait être cerné dans Sokolnitz; lorsque le 111è régiment, qui avait été laissé en bataille à quelque distance de là, eut ordre de s'ébranler et de marcher sur une nuée de Russes qui s'avançait pour occuper la communication avec la brigade du général Kister ; ce régiment fournit sa charge avec le plus grand courage, et après avoir chassé l'ennemi de la plaine bien au delà du village, il s'y engagea à l'extrême gauche, culbutant tout ce qui s'opposait à lui, et prit deux pièces de canon.
La brigade du général Kister, arrivée sur le terrain, se déploya et marcha à l'ennemi avec la même bravoure que celles qui la précédaient, et eut les mêmes avantages.
Le 15è régiment d'infanterie légère fut dirigé sur le pont en avant de Sokolnitz, en chassa un corps russe infiniment plus nombreux que lui, et pénétra pêle-mêle avec lui dans le village.
Cependant l'ennemi recevait de nombreux renforts de sa droite ; à l'est de ces secours, il parvint à rallier ses troupes dispersées et à les reporter au combat ; deux fois même il força les nôtres à se replier. Par son mouvement rétrograde, le 15è régiment d'infanterie légère laissa un moment à découvert l'aile gauche du 33è de ligne, qui dut se retirer pour n'être pas débordé ; mais, le 15è bientôt rallié et ramené au combat, le 33è, par un changement de front, se trouva à son tour en mesure de prendre l'ennemi en flanc ; l'accord de ces deux régiments à marcher aux Russes, la baïonnette croisée, ne laissa plus à ces derniers l'espoir de reprendre un seul instant l'avantage. Le succès devint alors complet pour toutes les troupes de la division Friant ; toutes les positions furent emportées, et l'ennemi laissa avec ses armes et ses bagages une vingtaine de bouches à feu et beaucoup de prisonniers. Le champ de bataille était partout jonché de morts et de blessés.
Après la vigoureuse attaque de Telnitz, le 108è régiment, malgré les pertes considérables qu'il y avait faites, ne continua pas moins à combattre avec les autres corps de la division pendant tout le reste de la journée.
Au moment où l'ennemi reprit un instant l'avantage, sur la gauche du général Friant, le général Bourcier, toujours attentif à saisir les mouvements, détacha les 18è et 19è régiments de dragons pour couvrir et garder le passage d'un défilé important, avec ordre de mettre pied à terre, si l'occasion l'exigeait.
Le 19è régiment de dragons se conduisit parfaitement dans ce mouvement ; il passa le défilé avec ordre, quoique exposé à la fusillade et au canon de l'ennemi, qui lui firent perdre beaucoup d'hommes et de chevaux.
Sans vouloir atténuer le mérite es trophées que se sont élevés en ce jour de gloire les divisions des autres corps d'armée, la divison Friant croit avoir de justes droits à partager l'honneur d'avoir forcé à se rendre prisonnière une colonne de plusieurs milliers de Russes, qu'elle battit pendant tout le jour et qui fut recueillie par les troupes du 4è corps. Le 48è régiment, par exemple, se trouvait seul au milieu d'un corps ennemi, lorsque la colonne entière mit bas les armes.
Tout étant terminé sur les points d'attaque de la division Friant, je la fis porter vers les trois heures de l'après-midi sur le village de Melnitz, afin de couper la retraite à quatre bataillons et escadrons qui étaient aux prises avec les troupes du 4è corps d'armée ; celles-ci les culbutèrent en grande partie dans le lac.
Je rends avec un vif plaisir aux braves de la division Friant la justice de dire qu'ils ne comptèrent pas les ennemis à la glorieuse journée d'Austerlitz ; ceux qui franchirent un trajet de trente-six lieues en moins de trente-six heures qurent aussi se multiplier sur le champ de bataille, pour faire tête et même l'emporter sur un ennemi cinq ou six fois plus nombreux et qui s'était flatté de la victoire. Si cette faible division eut près de 1.400 hommes hors de combat, elle en fit perdre des milliers à l'ennemi.
Je ne passerai pas sous silence la conduite du 1er régiment de dragons, qui combattit d'une manière distinguée avec la brigade du général Heudelet.
Je dois les plus grands éloges au général de division Friant, qui eut pendant l'action quatre chevaux tués ou blessés sous lui ; aux généraux de brigade Heudelet, Kister et Lochet : les deux derniers eurent chacun un cheval tué sous eux. Tous les trois eurent leurs habits criblés de balles et n'ont cessé de déployer pendant toute la bataille le zèle éclairé et les talents qui les caractérisent.

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