Le général Gudin au maréchal Davout
Naumbourg, 17 octobre 1806

J'ai l'honneur de vous rendre compte que, conformément à vos ordres, ma division est partie le 14 octobre à quatre heures du matin de sa position de Neufleming pour passer la Saale au pont de Kosen ; à six heures, la tête de division a traversé le défilé, et le 25è régiment d'infanterie de ligne, commandé par le colonel Cassagne, s'est formé en colonne à droite de la chaussée d'Erfurt, tandis que le 85è arrivait sur la gauche, le 21è régiment d'infanterie de ligne suivant le mouvement du 85è, et le 12è celui du 25è.
Arrivé à la hauteur du village d'Hassenhausen, la découverte du 1er régiment de chasseurs rencontra l'ennemi et vint se rallier au 25è régiment. Le général Gauthier fit alors former le carré à ce régiment, et à peine cette manoeuvre était terminée qu'une batterie de 6 pièces ennemies placées en avant du village commença un feu très-vif, et qui nous aurait infiniment fait souffrir si le général Gauthier ne l'eût fait enlever pa deux compagnies de grenadiers et une de voltigeurs, sous la direction de son aide de camp le capitaine Lagoublaye ; cette charge fut en même temps appuyée par un détachement du 1er régiment de chasseurs commandé par le capitaine Hullot, et par le feu de notre artillerie établie aux flancs du 25è.
Nous nous sommes alors portés à la tête du village d'Hassenhausen ; l'ennemi voulant profiter de l'isolement dans lequel se trouvait le 25è, ce corps eut à résister à une charge de cavalerie soutenue par une batterie pareille à celle que nous venions d'enlever, mais il la repoussa avec la plus rande vigueur. Le 25è avançait pendant ce temps sur la gauche.
L'effort que faisait l'ennemi sur ma droite me détermina à y faire passer le 21è régiment de ligne, et à peine ce régiment fut-il arrivé qu'il fut chargé vigoureusement par la cavalerie ; mais le feu de ce régiment obligea l'ennemi à une prompte retraite.
Le 12è régiment arirvait alors en arrière du 21è régiment régiment ; la cavalerie prussienne voulut encore essayer une charge, mais le peu de succès qu'elle avait eu aux précédentes et la contenance du régiment l'en empêchèrent.
Le 85è régiment pendant ces événements était sur la gauche, combattant sous la conduite de son brave colonel Viala.
L'ennemi, voyant que la majorité de nos forces étaient portées sur la droite, où j'avais réuni presque toute mon artillerie, se prolongea sur la sienne et dirigea les attaques contre le 85è, qui eut alors à combattre infanterie, cavalerie et artillerie.
Ce régiment repoussa plusieurs des charges dirigées contre lui, mais il eût infailliblement succombé, si le 12è régiment, commandé par le colonel Vergez, ne se fûr porté promptement à son secours. Ce dernier était à peine sur le terrain qu'il fut assailli par toutes les forces que l'ennemi avait sur ce point, et sans l'extrême bravoure qu'il a déployée, la divison, tournée complètement sur sa gauche, courait les plus grands dangers. Pendant que le 12è régiment se portait à la gauche et en arrière du village d'Hassenhausen, le 21è régiment sous les ordres du colonel Dufour, s'y établissait en avant, occupant le village par son centre.
La résistance des régiments de la division contre des forces aussi supérieures ayant donné le temps à la 1ère division d'arriver à notre secours, le combat redevint offensif, et les efforts que nous aions faits pour la conservation du village d'Hassenhausen furent couronnés du plus grand succès ; car l'ennemi fut obligé de nous abandonner toute l'artillerie qu'il nous avait laissée sur ce point.
Le corps d'amée étant de ligne, la division marcha sur le village de Tauchwitz, poursuivant l'ennemi devant elle, et ce village fut enlevé avec la plus grande énergie ; une compagnie de sapeurs entre autres y entra à la baïonnette, culbuta tout ce qui se trouvait devant elle et fit un bon nombre de prisonniers ; un petit détachement du 2è régiment de chasseurs, conduit par M. le capitaine Decouz, chargea aussi très à propos et avec succès.
Nous nous portâmes ensuite sur ce village de Popel, qui fut enlevé aussi avec la même facilité, et la division vint se former d'après vos ordres sur le rideau qui domine les villages d'Auerstadt et de Reisdorf.
Pendant que nous exécutions ce mouvement, le général Petit, ayant avec lui 400 hommes des 12è et 21è régiments, contribua puissamment à l'enlèvement du plateau d'Eckartsberg, qui fut le dernier exploit de la journée et où le reste de l'artillerie que l'ennemi avait mis en batterie contre nous, fut enlevé.
Je ne saurais, Monsieur le Maréchal, vous faire trop d'éloges de la conduite de MM. les officiers des corps de ma division ; tous ont montré qu'ils étaient dignes de faire partie de la grande armée et du général en chef auquel notre auguste souverain en a confié la direction.
J'ai à vous citer particulièrement le général Petit, qui a été blessé, a eu un cheval tué et un autre percé de trois balles ;
Le général Gauthier, qui a eu aussi un cheval tué sous lui et qui a été blessé lui-même ;
L'adjudant commandant Delotz, chef d'état-major de la division, officier du plus grand mérite, qui a eu la cuisse traversée d'un biscaïen ;
le colonel Viala, qui a reçu un biscaïen dans les reins et a eu un cheval tué ;
Le colonel Cassagne, blessé légèrement, et dont le cheval a été emporté d'un boulet de canon ;
Le chef de bataillon Groguet, officier très-distingué, qui a eu la cuisse emportée par un boulet et son cheval tué sous lui ;
Le chef de bataillon Husson, qui a pris le commandement du 85è, en remplacement du brave colonel Viala ;
Les chefs de bataillon Vaugrigneuse, du 21è ; Saint-Faust, qui a eu un cheval tué ; et Lavallée, du 25è ; ce dernier a été blessé trois fois, sans vouloir quitter le champ de bataille.
J'ai aussi beaucoup à me louer des officiers d'état-major :
Le chef de bataillon Gudin ; le lieutenant de Creutzer, atteint d'une balle légérement au bras droit sans contusion et plusieurs dans ses habits ; le chef d'escadron Cabrol ; mes trois aides de camp ; les capitaines adjoints Ferraris et Massot, et le capitaine du génie Sirès ; le capitaine Lagoublaye, aide de camp du général Gauthier, qui a eu le genou fracassé ; le lieutenant Frossart, aussi aide de camp du général Gauthier, qui a eu un cheval tué, et le lieutenant Guyot, aide de camp du général Petit, qui a eu un cheval tué sous lui.
Je dois aussi des éloges à l'artillerie, et particulièrement au chef d'escadron Pelegrin, qui la commandait.
Il m'est impossible de vous désigner tous les braves qui se sont distingués dans cette journée mémorable ; mais je recommande particulièrement à vos bontés tous ceux que je viens de désigner.
La perte de l'ennemi a été énorme en tués et blessés ; nous lui avons fait 1.200 prisonniers, e la division peut compter avoir pris 25 pièces de canon et un drapeau.
J'ai aussi considérablement souffert, et d'après les états qui m'ont été fournis, notre perte passe 3.500 hommes, parmi lesquels se trouvent 124 officiers.
Gudin.

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