Lettre de Davout au Premier Consul
1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803)

Mon Général, j'ai été obligé de retenir quelques heures votre courrier pour pouvoir me procurer quelques états qui m'étaient nécessaires pour satisfaire aux ordres que vous me donnez pa votre lettre du quatrième jour complémentaire.
Je commencerai par vous rendre compte du baraquement, qui m'a presque exclusivement occupé depuis mon arrivée.
Camp et baraque.
J'ai l'honneur de vous adresser :
1° Le plan d'une baraque de soldats ;
2° Celui d'une baraque d'officier ;
3° Celui des deux camps d'Ostende.
De tous les différents modèles de baraques que nous avons essayés, c'est celui que je vous présente qui nous a paru le plus convenable.
Depuis trois jours tous les matériaux nécessaires pour baraquer les troupes présentes sont rendus sur le terrain à Ostende, et demain ils le seront à Dunkerque. D'ici au 4, tous ceux nécessaires pour toutes les troupes qui doivent faire partie du camp de Bruges seront rendus dans ces deux endroits.
Les soldats prendront possession des baraques qu'ils construiront lorsque les bidons, marmites et couvertures seront arrivés ; nous avons l'espoir d'avoir demain les trois premiers articles ; mais quant aux couvertures, le commissaire général Petiet n'en a encore pas à sa disposition.
Vos intentions, mon Général, sont remplies pour l'emplacement des camps ; ils sont assis dans les endroits les plus sains de la côte ; et en outre le corps le plus éloigné du chenal peut y être rendu dans moins de vingt minutes : en creusant dans le bas des dunes, on trouve sur toute la ligne de l'eau meilleure que celle d'Ostende.
Le colonel du génie Touzard nous a été fort utile pour le détail du tracé du camp. Il nous a aussi indiqué un moyen prompt de purifier l'eau la plus corrompue ; il consiste à la faire filtrer à travers du charbon pilé dans une chausse de flanelle : l'expérience faite sous mes yeux ayant complètement réussi, je l'ai adoptée comme dernière précaution, fût-elle surabondante. Je ferai délivrer une de ces chausses à chaque ordinaire de baraque ; cet objet est peu coûteux.
Artillerie
6 pièces de 36 viennent d'arriver de Luxembourg ; mais les 8000 boulets de ce calibre attendus, n'arriveront qu'avec les 4 mortiers expédiés de Strasbourg ; je les désire d'autant plus que nous n'en avons point de ce calibre à Ostende.
La plupart de ces pièces manquent d'affûts ; le ministre a ordonné au directeur de Bruges d'en construire ; cet ordre est inexécutable : chefs ouvriers, ouvriers, outils, bois, fer, arsenal, dessins, argent, rien de tout cela n'existe.
Jusqu'ici, on a attendu pour construire les affûts des trois pièces de 36 qui doivent tirer sur l'angle de 45 degrés, un officier ouvrier que le général Marmont avait annoncé ; il n'arrive point. On va se servir d'un capitaine du 8è à pied qui est ici depuis quelques jours et qui est en état de diriger le travail.
Je vais inviter tous les commandants des principaux endroits qui se trouvent sur les canaux par où doivent passer les mortiers venus de Strasbourg, à concourir de tous leurs moyens pour en accélérer l'arrivée.
A l'égard des mortiers, je crois devoir, mon Général, vous donner l'extrait d'une lettre du directeur d'artillerie de Strasbourg à celui de Bruges :
"Trois des dits mortiers ont été coulés pleins et forés ensuite ; le quatrième a été coulé à noyau. Ils sont tous remplis de tant de défauts qu'ils auraient été certainement mis au rebut, si l'on n'était pas si pressé d'envoyer des mortiers sur la côte, et si le fondeur ne prétendait pas qu'ils ne peuvent être à son compte, et qu'il n'est pas responsable des pièces de nouveau modèle. Ces mortiers, dont la chambre contient 21 et jusqu'à 23 livres de poudre, ont porté les bombes à 1700 et quelques toises."
On manque totalement à Ostende de roches à feu, d'étoupilles, de lances à feu, de fusées à bombes chargées, de fusées de signaux, de fusées pour obus de 6 pouces. Ces demandes ont été faites au directeur de Douai par celui de Bruges, les 28 thermidor et 26 fructidor ; il n'y a eu aucune réponse.
Voici la note de la quantité des objets demandés, et que le directeur de Bruges a jugés nécessaires :
Des roches à feu pour le chargement de 12.000 bombes ;
Etoupilles, 30.000 ;
Des lances à feu à préparation des étoupilles ;
Fusées à bombes chargées, 6000 ;
Fusées de signaux, 400 ;
Fusées pour obus de 6 pouces, 1200.
Il est d'autant plus instant de faire droit à cette demande qu'il n'existe aucun artifice, et aucun moyen d'en construire.
Le ministre a ordonné le 29 fructidor de mettre à la disposition de la marine 42 pièces de fer de 24 et de 18 ; 27 le seront ces jours-ci, le restant le sera lorsque les pièces de bronze seront arrivées, pour ne point dégarnir les batteries de côte, et l'on remplacera les pièces de fer par celles de bronze à mesure qu'elles arriveront.
8 mortiers placés à la gauche du phare le sont sur affûts de 10 pouces trop légers de 700 à 800 livres. On y a remédié par un madrier placé en biais au recul. Mais il est à craindre que cela ne résiste point à un long feu.
Les 4 mortiers de Nieuport que j'avais destinés pour la batterie de Breskens ont été dirigés sur Ostende.
Je vais faire faire, mon Général, les diverses expériences sur la laisse de basse mer que vous me prescrivez ; j'aurai l'honneur de vous en adresser les différents procès-verbaux. Je n'ai pas encore reçu du ministre de la guerre l'état de la flotille et de ce qui sera envoyé sur chaque continent. Aussitôt qu'il y aura des bâtiments de prêts, je suis convenu avec le contre-amiral Emeriau d'y faire mettre des garnisons de soldats que l'on changera pour les exercer au canon, à la rame, etc.
Le mémoire ci-joint que m'a remis la chambre d'Ostende il y a quelques jours vous fera connaître l'état des travaux de ce port. Les faits avancés sont exacts, je les ai vérifiés.
L'ingénieur qui a fait les derniers travaux à l'écluse de Slyckens est vivement désiré par la chambre de commerce, pour mettre à exécution toutes vos intentions sur ce port qu'il connaît particulièrement.
Les ventes de terre que vous avez ordonnées ne se font pas ; elles produiront peu de choses, tant que le barrage ne sera pas entrepris.
Le quai de Nieuport, suivant le rapport de l'ingénieur, sera achevé le 25 vendéliaire, ainsi que les portes d'ebbe qui manquent à l'écluse du canal d'Ypres qui débouche dans ce port.
Les deux divisions de corvettes de pêche à Ostende ne sont pas encore prêtes : les états de situation ci-joints des bâtiments armés et à armer vous donneront connaissance de ce qui existe à Ostende, Nieuport, Bruges et Gand.
Quelque longue que soit cette lettre, mon Général, je ne peux la finir sans vous faire connaître que nous aons trouvé tout le zèle et la bonne volonté possibles dans les préfets de la Lys et de l'Escaut.
J'enverrai ces jours-ci ans l'île de Cadzadt Touzard pour examiner la situation de la batterie de Breskens, et projeter un ouvrage fermé qui la mette à l'abri d'un coup de main.
12 ou 15 voiles de guerre ont paru ces jours derniers devant Flessingue.
Le général Monnet a reconnu qu'on lui avait fait de faux rapports au sujet de la sortie de l'expédition préparée à Margatte ; et en effet tous les vaisseaux neutres qui sont arrivés à Ostende n'ont point fait mention qu'ils l'eussent rencontrée en mer.
Un bâtiment sous pavillon neutre est entré il y a deux jours à Flessingue ; les papiers ayant été reconnus faux, le général Monnet l'a fait saisir, le capitaine était Anglais.
Dans une tournée dans l'île de Cadzandt, on m'a rendu compte qu'on avait remarqué des bateaux avec des flambeaux sur la côte de Walcheren, et qu'on présumait que c'était pour relever des sondes.
L'officier que j'ai envoyé à Breskens nétant pas arrivé, je prends le parti d'expédier votre courrier. Demain, j'aurai l'honneur de vous faire passer la situation de la flottille de l'île de Walcheren.

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