Davout au Premier Consul
22 ventôse an XII (12 mars 1804)

La nouvelle de l'arrestation du chef des brigands nous est arrivée en sortant du Te Deum chanté pour rendre des actions de grâces à Dieu de ce qu'il avait conservé vos jours, où des détachements de tous les régiments de l'armée avaient assisté : dans un instant elle a été sue de tous les soldats, qui se sont livrés à une joie qui ne peut s'expliquer que par l'amour qu'ils portent à votre auguste personne. L'armée ne forme plus qu'un voeu, qui est celui que justice soit faite de tous ces misérables.
J'ai encore à vous annoncer, mon Général, la manoeuvre aussi audacieuse que bien conduite de l'amiral Verhuel. Il est arrivé hier en rade avec 13 chaloupes canonnière ; trois d'entre elles, entre autres celles qu'il montait, ont eu vers les quatre heures du matin, à la hauteur de Blankenberg, un engagement extrêmement vif avec une frégate et un brick anglais. On s'est battu à portée de pistolet pendant près d'un quart d'heure. L'ennemi a été tellement maltraité par le feu de la mousqueterie que son feu d'artillerie a été totalement éteint. Il a profité de l'obscurité de la nuit pour s'éloigner et mouiller pour se réparer. Le brick anglais eût été infailliblement enlevé enlevé à l'abordage que demandaient les soldats, sans les embarras où se trouvaient les 3 chaloupes canonnières qui étaient engagées les unes dans les autres. Après la retraite de l'ennemi, elles ont continué leur route et sont venues mouiller avec les autres dans la rade d'Ostende. Quelques corvettes et frégates anglaises sont venues les canonner d'assez loin, mais sans faire aucune espèce de mal. L'engagement nocturne nous a coûté 5 hommes tués et 10 blessés, tant soldats que marins. L'amiral Verhuel se loue beaucoup du courage du chef de bataillon Vaugrigneuse, des officiers et soldats du 21è qui montaient les chaloupes, et particulièrement des grenadiers, qui tous ont parfaitement secondé ces braves marins. Le capitaine de frégate hollandais a mérité des éloges particuliers de cet amiral. Je ne vous parlerai point, mon Général, de l'amiral Verhuel, ses talents et son dévouement vous sont connus. Il nous inspire la plus grande confiance, et est appelé à rendre de grands services dans cette guerre.
Il était sorti de Flessingue à l'époque où votre courrier y est arrivé. Le restant des bateaux canonniers de la première partie de la flottille batave était déjà rendu dans les canaux de l'intérieur, mais la deuxième partie en entier, mon Général, suivra la côte conformément à vos ordres. Il retourne à Flessingue pour l'organiser et l'armer le plus tôt possible. Il conserve toujours la certitude de vous donner pour la fin de mars une troisième partie.
Il est arrivé dans ces derniers temps beaucoup de bateaux baleiniers. 52 ont suivi par l'intérieur les bateaux canonniers. Aussitôt qu'ils seront rendus ici, je les ferai diriger tout de suite par les canaux sur Calais. Ils forment un total de 120 à 130 bateaux baleiniers qui auront été envoyés dans ces derniers ports.
J'ai l'honneur de vous rendre compte, mon Général, que j'ai placé depuis longtemps sur la côte tous les moyens d'artillerie mobile que j'avais pu réunir ; 6 pièces d'artillerie légère sont destinées à protéer les mouvements depuis l'île de Cadzandt jusqu'à Ostende. Deux pièces de 8 sont établies à l'embouchure orientale du Swin. Une demi-compagnie est à Nieuport pour protéger les mouvements jusqu'à Dunkerque. A Dunkerque, une autre demi-compagnie jusqu'à Gravelines, et à Gravelines, une compagnie jusqu'à Calais. Les 600 chevaux que j'ai sont répartis sur toute la côte, et ils font avec de nombreux postes d'infanterie des patrouilles continuelles.
Il existe 7 pièces de canon de 24 légères destinées pour l'armement des prames, dont nous ne pouvons d'ailleurs nous servir faute d'affûts. Il reste de disponible au parc de l'armée 3 pièces de 12 et 6 pièces de 8 qui seront employées à protéger à la basse mer la ligne d'embossage de la flottille. Le général Sorbier a demandé des obusiers dont nous manquons totalement et des pièces de 12 au directeur.
Pour l'exécution de vos ordres, je vous rends compte, mon Général, que j'ai demandé 10 péniches de celles qui existent dans le port d'Ostende, ce qui fait à raison d'une par section pour aller en rade avec la flottille. Cela est d'autant plus nécessaire que, sans ces embarcations, l'équipage et la garnison d'un des bâtiments de la flottille, qu'un boulet de l'ennemi ferait couler bas, ne pourraient être sauvés.
J'ai écrit à Dunkerque pour faire connaître que votre intention était que les chaloupes canonnières restent et soient réunies dans ce port. Le malentendu avait existé, 9 étaient déjà parties pour Calais. Il en existe à Dunkerque 72, nombre suffisant pour se conformer à vos instructions, embarquer les 4 régiments de la 3è division.
Le 12è et le 25è ont déjà fourni leurs garnisons. Le 85è les fournira demain, et le 21è aussitôt que le régiment sera réuni : ce qui sera dans quatre ou cinq jours. J'irai moi-même à cette époque pour mettre à exécution vos différents ordres.
Je n'aime pas, mon Général, à vous entretenir de détails pénibles, mais le bien du service me force à vous dire qu'il es impossible que le contre-amiral Magon, dans la disposition d'esprit où il est, ne soit pas aussi nuisible qu'il a été utile à cette époque. Sa présence d'ailleurs ne peut plus servir ici, puisqu'il ne se trouve plus dans ce port que 40 bâtiments de transport qui sont en partance.
L'amiral Verhuel a reconnu la grande utilité d'établir des corps morts dans le chenal et sur le pont pour pouvoir opérer dans une seule marée la sortie de la flottille, lorsqu'elle sera réunie ici. Sans cela il ne croit pas qu'il soit possible d'en faire sortir plus de la moitié. J'aurai l'honneur, mon Général, de vous adresser après-demain le plan de la rade d'Ostende avec tous les détails que vous me demandez, et deux ou trois jours après celui de Nieuport. J'ai préféré ce retard pour vous envoyer quelque chose de complet et d'exact.
Les bataillons de guerre se complètent, l'instruction est très-suivie.
Il paraît que la maladie que Sidney Smith a eu en Egypte lui est revenue ; il recommence ses fanfaronnades au sujet d'une patache montée par 4 douaniers qui s'est laissé surprendre. Il a demandé à plusieurs capitaines de bâtiments neutres s'ils voulaient se charger de 200 soldats, dont 8 officiers, qu'il venait de prendre dans le port de l'Ecluse. Si l'on m'accorde des péniches, ces embarcations ne se promèneront pas avec autant de tranquillité près de nos côtes.

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