Davout au Premier Consul
29 nivôse an XII (20 janvier 1804)

Mon Général, j'ai l'honneur de vous rendre compte que le 26 treize bâtiments partis de Dunkerque pour Boulogne ont été forcés, le vent ayant changé, de mouiller entre Gravelines et Calais. A l'entrée de la nuit, un de ces bâtiments ayant heurté contre une canonnière, les voiles et les vergues se sont engagées, et le capitaine du bâtiment ainsi que tout son équipage l'ont abandonné pour passer sur la canonnière, qui n'est parvenue à se dégager de cet abordage qu'à coups de hache. On ne sait ce qu'est devenu ce bâtiment livré à lui-même ainsi qu'un chirurgien qui est resté dedans.
L'artillerie légère de Gravelines qui escortait cette flottille a passé la nuit à la hauteur du mouillage : celle de Calais qui était venue au-devant n'en a pas agi ainsi, elle s'est retirée à la fin du jour. J'en ai écrit au général Soult.
Le 29 au matin, trois bâtiments de guerre anglais sont venus à toutes voiles pour s'emparer de ces bâtiments ; l'artillerie légère, qui heureusement avait passé la nuit au bivouac, a eu encore le bonheur de forcer, par un feu extrêmement vif, les ennemis de prendre le large, et les bâtiments ont été sauvés malgré le grand désordre que l'apparition des Anglais avait mis dans les équipages, chacun ayant cherché à sauver son bâtiment, le commandant de la canonnière en ayant lui-même donné l'exemple.
Par votre dernière lettre, mon Général, vous attendiez l'arrivée du ministre de la marine pour connaître les mesures prises pour procurer des matelots à Ostende. Savary aura dû vous rendre compte que depuis longtemps, prévoyant que l'on serait obligé d'avoir recours à une levée extraordinaire, je me suis occupé de découvrir les endroits où l'on pourrait en trouver dans les départements voisins. J'ai fait faire ces recherches très-secrètement par la gendarmerie, et elle m'a fourni à cet égard tous les renseignements qu'on peut désirer. Un de mes aides de camp, que j'ai envoyé sous différents prétextes dans ces pays, m'a confirmé l'exactitude des indications : l'amiral Magon y a envoyé lui-même plusieurs officiers de marine, qui se sont assurés que les hommes portés sur ces différentes listes s'y trouvent ; ainsi, mon Général, lorsque vous m'en donnerez l'ordre, je ferai enlever et conduire à Ostende tous ces marins. Cette opération nous en fournira une quantité suffisante. Mais si l'on régularise trop cette mesure, et que l'on s'adresse aux préfets, ceux-ci aux commissaires de marine et aux syndics, tous les marins seront prévenus, se sauveront en Hollande ou dans les départements voisins.
Des lettres directes à tous les maires, la menace positive de traiter les parents des marins qui se soustrairaient à la levée comme le sont tous les parents des conscrits, des détachements de gendarmerie et de cavalerie et beaucoup d'officiers porteurs de ces ordres, du secret, de l'ensemble et de la célérité dans cette mesure, voilà les seuls moyens de réussir, d'après ce que je vois et la connaissance que j'ai de ce pays.
Je ne dois pas vous laisser ignorer, mon Général, que cela ne sera pas encore suffisant, et que si l'on ne prend le parti de faire fusiller ceux des marins qui déserteraient d'Ostende, il n'en restera pas le quart dix jours après leur arrivée.
Un uniforme est arrêté au moins sur le papier dans les ordres du jour de la flottille de Boulogne ; il est indispensable qu'on le donne ici à chacun des marins qu'on va lever ; ce sera une dépense de 20.000 à 30.000 francs que l'on pourra recouvrer même sur leur solde. Alors la gendarmerie qui fait très-bien son service aura les moyens de distinguer ceux qui déserteront.
Les deux bataillons de guerre du 48è réiment sont arrivés dans l'île de Walcheren, forts de 1700 hommes présents, remplis de bonne volonté, tous bien armés et habillés.
Une forte indisposition que j'ai eue et dont je suis heureusement débarrassé m'a empêché de suivre l'affaire d'un homme très-riche de Flessingue qui commissionnait deux particuliers d'Ostende pour remettre de l'argent à tous les prisonniers anglais. Je vais la suivre et l'éclaircir.

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