Davout à l'Empereur Napoléon 1er
2 germinal an XIII (23 mars 1805)

Sire, en mettant sous les yeux de Votre Majesté un état sommaire et exact de la situation des troupes composant le camp de Bruges, à la fin de ventôse, je crois y devoir ajouter quelques observations dont le but est de faire connaître à Votre Majesté la force réellement disponible et en état d'agir, l'effet progressif des maladies selon les localités, enfin l'état moral de l'armée que j'ai l'honneur de commander. Celui-ci est tel qu'il serait agréable de justifier par quelques détails le compte satisfaisant que j'ai à cet égard à rendre à Votre Majesté.
Les trois divisions d'infanterie, sur un effectif de 23.408 en état d'entrer en campagne, ce qui se vérifie de la manière suivante :
1ère division : 8.608
Effectif dont il faut déduire 800 malades et 800 malingres hors d'état de faire la guerre : 1.600
Reste : 7.008
2ème division : 7.956
Effectif dont il faut déduire 900 malades et 900 malingres hors d'état de faire la guerre : 1.800
Reste : 6.156
3ème division : 6.779
Effectif dont il faut déduire 285 malades et 250 malingres hors d'état de faire la guerre : 535
Reste : 6.244
Total des hommes valides : 19.408
On aperçoit clairement dans ces résultats, en raison de la force des 3 divisions, la proportion des malades et de ceux que de fréquentes rechutes ont épuisés et mis hors d'état d'entrer en campagne.
La 1ère division, campée à l'est du chenal d'Ostende, a du 10è au 11è d'hommes aux hôpitaux.
La 2è division, campée à l'ouest de la ville d'Ostende, du 8è au 9è.
La 3è division, campée au Rozendal sous Dunkerque, du 24è au 25è.
Et si l'on observe que le 21è régiment, qui fait partie de la 3è division et qui revient des îles de Zélande, a constamment lui seul autant de malades que les 3 autres régiments de cette division, on reconnaîtra que la position du camp de Rozendal est très- saine, et que nous y avons perdu deux fois moins qu'au camp de la 2è sous Ostende.
Cependant pour remplacer ce manque au complet dans les bataillons de guerre, les dépôts qui n'ont cessé de fournir aux remplacements n'offrent plus que de faibles ressources ; les uns ont au moins autant d'hommes à réformer et congédier qu'ils en doivent recevoir de la conscription de l'an XIII? Les autres n'ont plus que des malingres hors d'état de faire la guerre. Enfin telle est la pénurie pour le recrutement, que d'après les comptes que je me suis fait rendre par les colonels, je puis affirmer à Votre Majesté que tous les bataillons de dépôt ne fourniront pas ensemble un renfort de 400 hommes.
Mais, Sire, tout ce qui se trouve dans les camps et a résisté à la maladie (car presque tous ont été éprouvés) est dans le meilleur état. L'impatience et l'ennui de voir se prolonger le séjour dans cette position ne sont témoignés qu'avec le désir d'atteinre le but. Pendant l'hiver très-sévère, pendant l'épidémie, il n'y a pas eu de murmures. La discipline ne s'est point relâchée, la bonne tenue de l'habillement, des armes, s'est maintenue, et l'instruction a été conservée.
La division de cavalerie, forte de 1.060 hommes, dont 700 hommes montés, est maintenant en bon état : il n'y a que 34 hommes aux hôpitaux, les chevaux se sont refaits dans les cantonnements : aussi ai-je fait reprendre au premier général le service de surveillance sur la côte. L'instruction d'hiver a été suivie : le meilleur ordre a régné : il ne m'est pas parvenu une seule plainte de la part des habitants du pays.
L'artillerie à cheval est forte de 280 hommes, dont 25 aux hôpitaux ; celle à pied, de 900, sur quoi 50 sont aux hôpitaux.
Toute l'artillerie rivalise avec les autres parties de l'armée pour l'instruction, la discipline, et le service dont elle est chargée sur la côte et aux batteries est toujours parfaitement fait : ce qui est prouvé par les résultats, puisque les ennemis ne nous ont pas encore pris un seul bâtiment, malgré les fréquentes traversées de Flessingue à Dunkerque.
Le 9è bataillon bis du train n'a que 230 chevaux, qui sont en très-mauvais état et incapables de faire le service de la côte.
Le matériel de l'artillerie, en assez bon éta, exigerait cependant des réparations ; mais aucuns fonds ne sont faits, quoique les plus légers services seraient suffisants. Le général Sorbier a eu des ordres réitérés du général Faultrier de suspendre toutes les réparations jusqu'à ce que le ministre ait des fonds.
Les camps sont bien tenus, et le soldat depuis le beau temps met son amour-propre à augmenter et embellir tous les ouvrages et jadins que Votre Majesté a bien voulu remarquer l'année dernière.
L'instruction nautique continue : la meilleure harmonie règne entre les officiers et les soldats français et les officiers et matelots hollandais. J'ai le bonheur de pouvoir annoncer à Votre Majesté que leur chef a échappé à une maladie dangereuse. Sa perte eût été d'autant plus grande que l'amiral Verhuel a inspiré la plus grande confiance à toute l'armée. Les résultats la justifient : cet amiral n'a pas encore perdu un seul bâtiment, malgré les fréquents combats, passages, et les mouillages de la rade de Dunkerque, tenus dans les plus gros temps : ce mouillage continue à prouver la bonté de cette rade.
Les bâtiments de guerre de la flottille batave sont dans le meilleur état et on passé la mauvaise saison sans avaries : ils sont d'une bonne construction et supportent l'échouage par les plus gros temps sans éprouver les plus petits dommages. Dernièrement à Ostende, nous en avons eu une dernière preuve : cependant il n'en serait pas de même des chaloupes canonnières : aussi l'amiral redoute-t-il le port d'Ambleteuse, où il a l'ordre d'en envoyer une division : il a dû en faire son rapport au ministre de la marine.
Les trop nombreux hôpitaux de l'armée sont aussi bien tenus qu'a pu le permettre un mouvement de plus de 2.500 malades. On les a nettoyés, reblanchis, assainis par de fortes fumigations. Les administrateurs civils, mais principalement ceux de Bruges, ont montré un véritable zèle et beaucoup d'intelligence pour cette pénible tâche. Je suis certain de les en récompenser en leur faisant connaître que Votre Majesté en est particulièrement informée.
Tels sont, Sire, les objets qui m'ont paru dignes de fixer l'attention de Votre Majesté. Puisse-t-elle y trouver quelques motifs de satisfaction dans les preuves du bon esprit, de la bonne conduite, de l'entier dévouement et de la fidélité à son auguste personne, de ses soldats du camp de Bruges !

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