Davout à l'Empereur Napoléon 1er
Ambleteuse, 30 messidor an XIII (19 juillet 1805)
Sire, M. l'amiral Verhuel, qui, depuis que Votre Majesté a ordonné la réunion de la flottille batave à Ambleteuse, n'a pas perdu un seul instant ni une seule circonstance pour exécuter vos ordres, vient de conduire dans ce port par une manoeuvre brillante, et après un combat glorieux pour le service de Votre Majesté, une partie considérable de la flottille.
Il a constamment pendant deux mois tenu la rade de Dunkerque à la vue de l'ennemi mouillé devant Gravelines, et qui, renforçant sa station jusqu'à 25 voiles, croisant à la tête des bancs de la rade jusqu'à hasarder d'y perdre ses bâtiments, montre assez quelle importance il attachait à empêcher cette réunion.
Déterminé à forcer le passage, M. l'amiral avait d'abord réuni 40 chaloupes canonnières, 4 prames, 72 bateaux canonniers et une escouade de transport. Il a plusieurs fois, mais vainement, rassemblé cette force en rade, les vents variables ne passant jamais au nord par l'est faiblissaient à chaque marée, en franchissant du nord-ouest. Enfin des coups de vent, inattendus dans cette saison, rendant souvent impossible toute communication avec la rade, forçaient à faire échouer ou rentrer dans le port les bâtiments de transport et les bateaux canonniers.
La constance de l'amiral n'a point été lassée par ces vives contrariétés ; quand il a cessé d'espérer la circonstance de vents qu'il désirait pour présenter à l'ennemi une masse des bâtiments qui pût balancer ses forces réunies à la hauteur des caps et le forcer à se diviser contre une ligne étendue, il a changé de plan.
Avant-hier 28 de ce mois, les vents ayant passé au nord-est, l'amiral mit à la voile de la rade de Dunkerque, avec tout ce qui s'y trouvait, donnant l'ordre de faire appareiller une première et ensuite une seconde division de bateaux canonniers ou de transport à mesure qu'on le saurait engagé avec l'ennemi et poursuivant sa route.
Le premier engagement a eu lieu à la hauteur du Waldau, à l'est de Calais : il a été très-vif : les ennemis ont été forcés de reprendre le large, et la flottille a mouillé à l'ouest des forts. La prame la Ville de Genève a soutenu un feu violent et tellement souffert dans sa nature qu'elle a dû rentrer à Calais.
Hier 29, l'amiral, pour mieux cacher à l'ennemi les mouvements des divisions qui devaient partir de Dunkerque, négligea de profiter de la marée en feignant de protéger l'échouage de deux canonnières qui avaient touché pendant la nuit, et resta au mouillage : les ennemis formèrent leur ligne et l'y attaquèrent avec aussi peu d'effet que la veille.
La manoeuvre de M. l'amiral Lacrosse, qui avait fait appareiller et porter du côté de Vimereux une division de chaloupes canonnières, tandis que quelques péniches sorties de ce dernier port se portaient sous le cap Grisnez, opéra une diversion utile en retenant la station anglaise qui cherchait à s'élever au vent, ce qui donna lieu à une vive canonnade ; cependant 13 voiles de guerre dont un vaisseau, 2 frégates et le reste, corvettes ou bricks, étaient par le travers de la flottille batave lorsque l'amiral eut connaissance de l'appareillage de la division de bateaux canonniers et de transport qui ralliaient avec le reste du convoi et entrèrent à la marée suivante au port de Calais, avant que les ennemis qui avaient mis en panne et se laissaient dériver eussent pu s'élever au vent.
Vers les trois heures, la mer étant basse, et la ligne anglaise, renforcé des bâtiments sortis de la rade des dunes, commençant à gagner le vent, on fit le signal d'appareiller. J'étais venu au-devant de lui après avoir fait mes dispositions pour la meilleure défense possible, tant fixe que mobile, de tous les points de la côte qui en étaient susceptibles. Il y avait alors par le travers de la baie de Wissant au large du cap 45 voiles de guerre, dont 2 vaisseaux de ligne, 4 frégates, 2 bombardes à trois mâts et un grand nombre de corvettes et de bricks, tous à portée de prendre part à l'engagement. Cette force était indépendante de la station qui observait la flottille de la rade de Boulogne. M. l'amiral Lacrosse a, plusieurs fois dans la journée, compté 45 voiles de guerre en vue.
L'ennemi, ayant laissé une forte division en panne par le travers et un peu au vent du cap Grisnez, commença son attaque sur le cap de Blancnez à grande portée : l'amiral Verhuel, ayant formé sa ligne de bataille à la tête de laquelle il était de sa personne, et les trois prames faisant l'arrière-garde, doubla d'abord en bon ordre et sans répondre au feu de l'ennemi le cap Blancnez, dont les batteries et surtout les mortiers, quoique à grande distance de la ligne ennemie, firent un feu utile et très-vif.
Ce fut par le travers de la tour de Wissant où l'enfoncement de la côte n'offre aucune protection que les deux divisions des ennemis commencèrent
sur la tête de la flottille, à portée de mitraille, une attaque sérieuse : un brick et une frégate s'engagèrent de très-près, serrant la terre jusqu'à l'entrée du chenal du banc à laine où la batterie de droite du haut Grisnez ouvrit un feu si vif et si bien dirigé que ces bâtiments furent contraints de rallier leur ligne. Le passage sous le cap Grisnez fut chaud et brillant, tous les bâtiments ennemis portant sur le cap et croisant leur feu sur les bâtiments de la flottille. Deux vaisseaux de ligne et une frégate s'approchèrent du cap à portée de mousqueterie et au point qu'on entendait les hommes des équipages. Ils furent repoussés par le feu des batteries et contraints de reprendre le large. Les prames faisaint l'arrière-garde à petites voiles et beaupré sur poupe. Toute la flottille doubla sans autre accident que l'échouage de 3 chaloupes qui, prenant trop au large et portant sue l'ennemi, touchèrent sur les açores du banc. (Elles ont été relevées la nuit dernière et sont maintenues en rade)
Alors l'ennemi prolongea la côte, continuant à canonner vivement à bonne portée, et la flottille mouilla entre les tours d'Andreselles et d'Ambleteuse ; mais les ennemis ralliés, et qui paraissaient tenir le vent, arrivèrent tous à la fois sur les chaloupes embossées pour tenter un dernier effort. Toutes les batteries de la côte depuis Andreselles jusqu'à Vimereux se trouvèrent à portée de tirer sur la ligne anglaise, qui ne put soutenir longtemps un feu si considérable et se laissa dériver.
Ce matin nous avons recueilli le fruit de la belle manoeuvre de l'amiral Vehuel : une division de 54 bâtiments sortie du port de Dunkerque au moment où il appareillait de la rade de Calais, a doublé les caps et est arrivée sur la rade d'Ambleteuse sans qu'aucun des bâtiments ennemis, qui se trouvaient tous affalés sous le vent, ait pu s'opposer à leur passage.
Votre Majesté appréciera le zèle, l'activité et les bonnes manoeuvres de M. l'amiral Verhuel. Mais je la supplie de me permettre de recommander particulièrement à son auguste bienveillance quelques-uns des principaux officiers de la marine batave qui ont donné sous mes yeux des preuves de dévouement à la cause commune, d'énergie et de talents qui méritent les faveurs dont Votre Majesté comble ses plus braves serviteurs.
1° Le commandant de la division Gerbrand, ancien officier, dont le courage calme et la précision dans l'exécution des manoeuvres ont bien secondé l'amiral.
2° M. Osward, capitaine de pavillon de M. l'amiral, jeune officier de la plus grande espérance, et dont l'intrépidité justifierait seule l'amitié particulière dont l'honore M. l'amiral, si ses talents ne le faisaient considérer comme son plus digne élève.
3° Les deux aides de camp de M. l'amiral, les lieutenants de vaisseau Franck et Vanson : ces deux officiers, qui depuis la formation de la flottille impériale batave ont, par leur activité, leur courage dans les différentes rencontres, leur bon esprit dans les communications entre les deux nations, rendu les plus grands services à la cause commune, et se sont particulièrement signalés dans les actions des 28 et 29, ont, en parcourant sans cesse la ligne, porté partout les ordres particuliers de l'amiral, et ont spécialement contribué dans les positions difficiles à faire conserver l'ordre de bataille.
M. Van Derhart, lieutenant de vaisseau commandant la canonnière n° 54, s'est fait remarquer par ses bonnes manoeuvres et a justifié l'estime que fait de lui M. l'amiral, comme d'un officier du meilleur exemple.
M. le capitaine de frégate Zirwoget, officier de la plus grande vigueur, le même qui l'année dernière commansait dans le combat du 26 prairial contre l'escadre anglaise de Sidney Smith, la division de bateaux canonniers, et a, dans cette dernière affaire, justifié, par sa belle conduite, la juste opinion qu'on avait conçue de son courage et de son habileté.
M. de Cock, intendant général de la flottille, qui remplit à la fois une fonction militaire et civile qui l'assimile au rang de capitaine de vaisseau, en même temps qu'il est un administrateur distingué et très-estimé dans la marine batave, s'est trouvé volontairement à toutes les actions auxquelles la flottille a eu part, et s'y est rendu très-utile. S'il peut être décoré à titre de services civils très-remarquables, on peut assurer qu'il a aussi justifié d'avance une récompense militaire.
J'aurais sans doute à recommander à l'attention et aux bontés de Votre Majesté les commandants de ces quatre prames qui tous, et particulièrement leur brave commandant, Lamboux, ont rivalisé de courage et de bonne conduite avec nos alliés. Mais c'est à M. l'amiral qu'il appartient de vous donner des détails sur la brillante conduite des garnisons et des marins dans ces deux engagements.
Le général Sorbier a communiqué son activité à tous ses officiers et canonniers : il a, avec la plus grande célérité, fait un armement qui a été de la plus grande utilité : le feu a été bien dirigé et soutenu. La perte de l'ennemi a été très-considérable en hommes, et beaucoup de bâtiments ont pris le large par suite d'avaries majeures. L'engagement a duré à portée de mitraille depuis quatre heures jusqu'à huit heures et demie. La ligne a été bien conservée ; les échouements n'ont eu lieu qu'à la suite d'avaries.
Le sieur Jean-Noël Mascot, syndic des pilotes de Calais, à bord de l'amiral, a mérité ses suffrages ; il a montré au milieu de la mitraille le plus grand calme. Cet homme, âgé de quarante-cinq ans, est recommandable pour ses bons services : c'était son vingt-neuvième passage sous le canon des Anglais depuis deux ans.
Nous avons perdi, dans la première affaire
du 28, 6 hommes tués et 20 blessés. Sur ce nombre, la prame la Ville de Genève en a 4 tués et 10 blessés.
Dans l'affaire du 29, nous avons eu 10 hommes tués et 50 blessés.
Le contre-amiral Douglas commandait une des divisions anglaises : on a remarqué que le bâtiment que montait lord Keith est resté mouillé et, toujours couvert de signaux, n'a pris aucune part à l'action.
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