Le Général Gudin au Maréchal Davout
27 frimaire an XIV (18 décembre 1805)

Monsieur le Maréchal, je suis rentré hier soir à Presbourg de la mission dont vous m'aviez chargé. Elle n'a pas eu le fruit que vous aviez droit d'en attendre, comme vous l'aurez vu par la réponse de M. le Comte de Kollowrath, commandant par intérim l'armée autrichienne, que le général Daultanne doit vous avoir fait passer cette nuit, Sa Majesté l'empereur d'Autriche n'ayant pas voulu céder d'autres villages que ceux absolument nécessaires pour établir la communication de Vienne avec Presbourg par Neudorf.
Je vais entrer dans quelques détails sur mon voyage. A peine arrivé à Stampfen, l'officier commandant les avant-postes autrichiens s'est présenté chez moi, et sous prétexte, à ce que j'imagine, de me faire politesse en envoyant à l'avance me faire préparer des chevaux à Malatzka, a prévenu le général Merfeld de mon passage. Ce dernier m'a fait aussitôt préparer un logement, a placé des vedettes sur la route pour m'y conduire et aussitôt s'est rendu chez moi, pour me témoigner, disait-il, le regret de ne pouvoir me laisser aller plus avant sans avoir l'autorisation de son général en chef.
Je suis donc resté jusqu'à seot heures du soir, le 24, à Malatzka, l'ordre étant arrivé de me laisser aller jusqu'à Sassin, où M. le lieutenant-général comte de Kollowrath se rendait pour m'éviter, disait-on, une partie de la route.
Après avoir remis votre lettre à ce général, nous sommes entrés en matière sur son contenu, et après une discussion assez longue, dans laquelle il m'a été facile de reconnaître que M. de Kollowrath n'avait aucun pouvoir pour m'accorder un seul village. Sa Majesté l'empereur d'Autriche lui ayant dit que toutes les difficultés existantes pour l'interprétation de l'armistice devaient être traitées à Nikolsbourg entre les plénipotentiaires, bous étions cependant convenus, sauf ratification de l'Empereur, qu'il cèderait provisoirement à votre corps d'armée la libre communication par Neudorf jusqu'à Stampfen exclusivement, et une lieue et demie de rayon aux environs de Presbourg, sur les routes de Tirnau et de Komorn, par la rive gauche du Danube. Ces propositions, que je n'ai faites que verbalement, ont été envoyées à Sa Majesté à Holitsch ; mais après cinq heures de débats chez Sa Majesté, il en est résulté la réponse que M. le général de Kollowrath vous a faite et qui est basée sur une lettre signée François.
Ne pouvant plus insister sur ce sujet d'après cette réponse, je me suis rabattu sur la libre communication par Neudorf, l'autre rive étant à la disposition du prince Charles, et elle a été accordée sans difficulté ; j'ai même rapporté l'ordre à M. de Merfeld de ne pas dépasser Wistemitz et de retirer sur leurs cantonnements respectifs les postes placés aux portes de Presbourg ; cette disposition doit avoir été exécutée ce matin.
Dans la conversation, M. de Kollowrath m'a dit que Sa Majesté l'empereur d'Autriche avait été étonné de nos prétentions et qu'il allait porter plainte à notre souverain contre les généraux français qui donnaient une trop grande extension à la ligne d'armistice ; il a même ajouté que cela était d'autant plus surprenant qu'il avait signé l'armistice tel qu'on l'avait exigé.
J'ai eu beaucoup à me louer des égards que j'ai reçus tant de M. de Merfeld que de M. de Kollowrath, et s'il avait dépendu de ce dernier d'accéder à vos désirs, il l'aurait fait sans beaucoup de difficultés, à ce que je puis juger.
Je crois qu'un des motifs qui a empêché l'Empereur d'y accéder est la crainte de mécontenter les Hongrois qui prétendent qu'il n'avait pas le droit de céder Presbourg sans le consentement de la diète, qui doit s'assembler dans ce moment-ci à Bude pour faire de très-fortes représentations sur la situation des choses.
Je suis avec respect, etc.

Le général de division Gudin

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