Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
18 octobre 1805

Je reçois tous les jours des nouvelles, mon cher Eugène, mais je ne te les envoie plus, car je sais que tu en as directement de l'armée. Cependant, maman m'a envoyé hier une lettre qu'elle venait de recevoir de l'Empereur ; il disait que tout lui annonçait la campagne la plus brillante, la plus courte et la plus heureuse qui ait été faite : ce sont ses expressions. C'est bien encourageant, mais, quand on pense aux pleurs que ces victoires mêmes vont faire répandre, je t'assure que cela rend toute triste. Justement, ce sont deux colonels que je connaissais qui ont péri aux premières affaires. Le bruit court dans le commerce que nous avons gagné la grande bataille qui devait avoir lieu près d'Ulm. Mais on dit qu'il y a beaucoup de monde de tué, entre autres un aide de camp de l'Empereur. Nous attendons les nouvelles ce soir. Mais juge combien on désire et on redoute l'arrivée du courrier.
Je n'ose pas te dire mon bonheur de savoir que tu ne te bats pas : dans quelles inquiétudes je serais, mais sans doute que tôt ou tard ce sera ton tour ; je sais combien tu le désires et je ne pense qu'avec chagrin à ce moment-là, malgré tout mon désir de penser comme toi.
Ce pauvre Lacuée, comme je le regrette ! Il avait été malheureux, mais, peut-être, après la guerre, aurait-il retrouvé le bonheur qu'il avait perdu par une étourderie. Comme on est triste en temps de guerre ! Je pense quelle est la pauvre veuve que nous aurons à consoler ; les aides de camp de Louis sont presque tous mariés. Mon Dieu, ces vilains Autrichiens qui ne veulent pas nous laisser en paix ! Je puis dire que je suis née en temps de guerre et que je n'ai vu que cela ; quand viendra donc le temps où nous serons un peu tranquilles, car, pour le bonheur, qui est-ce qui l'a ? On peut se contenter de l'intérêt dans le calme, mais c'est encore bien difficile à trouver.
Adieu, je t'embrasse.

Hortense

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