Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
11 juin 1806, Saint-Cloud

Je t'écris de Saint-Cloud, mon cher Eugène. Je suis venue faire mes adieux à maman. Je pars demain ou après ; ma première lettre sera sans doute datée de La Haye. Ce qui me donne le courage de partir, c'est de penser que je reviendrai dans un mois et que j'aurai le bonheur de t'embrasser. L'Empereur me l'a promis. Ainsi, j'y compte. Tu as éprouvé tout ce que je sens. Ainsi je n'en parle plus. J'ai un courage extrême. Je sens même que j'en ai besoin pour maman qui n'est vraiment pas raisonnable.
J'espère que l'Empereur aura toujours de l'amitié pour moi et qu'il verra combien nous l'aimons puisque nous avons toujours mis notre bonheur à faire ce qui lui est agréable.
J'ai lu ta lettre à maman ; elle m'a fait de la peine. Tu as l'air bien triste ; quand tu m'écris, tu me parles bien peu de toi, cela n'est pas bien : quand on a du chagrin, on le soulage en le confiant à la personne qui doit le sentir aussi vivement que nous-même, et ta lettre est vraiment de quelqu'un qui n'est pas heureux. Songe cependant que tu as le bonheur intérieur, qui n'est pas un petit bonheur et que tout le monde n'a pas. Tu es aimé des personnes qui t'approchent comme de celles qui sont éloignées ; l'Empereur est content de toi : ce sont bien des motifs de consolation. Tu vois que tes chagrins m'occupent encore plus que les miens ; je veux te persuader que tu n'es pas tout à fait à plaindre.
Pour te donner du courage, songe à notre attachement, et, quoique nous devions vivre séparés, nos coeurs et nos façons de penser seront toujours les mêmes et nous rapprocheront toujours.
Je t'embrasse comme je t'aime ; mille choses à ta femme ; je lui écrirai de Hollande.

Hortense

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