Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
16 janvier 1806

Lavalette a dû t'écrire, mon cher Eugène, et te raconter toute notre petite fête d'hier. Plusieurs de tes chasseurs, tes trompettes, ton appartement et ton portrait, il n'en fallait pas tant pour me faire pleurer ; cependant la fête m'a été fort agréable. J'ai pensé que c'était un jour de bonheur pour toi et qu'il fallait me réjouir, ne plus penser à notre séparation, quoiqu'elle soit bien pénible dans ce moment-ci.
L'Empereur a eu la bonté de m'écrire ; il me dit que tu épouses une femme charmante et que j'aurai en tout une soeur digne de moi. Tu vois qu'il me gâte et que cela pourrait me donner de la vanité si je ne connaissais son indulgence pour moi.
J'espère que ta femme m'écrira un petit mot ; il me tarde de ne plus être en cérémonie avec elle. Dis-lui combien je l'aimerai ou plutôt comme je l'aime déjà, car, à présent, elle est ma soeur et mon attachement sera partagé entre vous deux. Je crois que tu ferais bien d'écrire un petit mot à Louis ; je te dirai que je ne lui ai rien dit de ton mariage ; il l'apprendra par les journaux ; j'aurais eu trop de reproches à lui faire et j'ai préféré le silence : s'il le sent, c'est assez expressif ; mais toi, tu dois ignorer tout cela et, comme l'Empereur en a fait part à toute la famille et qu'il n'a pas pensé à Louis, je crois que tu ferais bien de le faire.
Ecris-moi donc ce que tu deviens. Ta maison est charmante, c'est la plus belle de Paris et la plus soignée ; l'appartement du bas, qui est le moins beau, a eu le plus grand succès hier. J'ai dansé avec un de tes chasseurs ; c'est un capitaine qui a une blessure au nez. Ils parlent tous de toi et demandent toujours quand ils te verront. Tu aurais vu que tu n'es pas aimé pour moi seule, si tu avais été hier parmi nous.
Tout le monde était attendri de se retrouver dans cette jolie galerie où nous nous sommes tant amusés et de ne t'y voir qu'en peinture, car ton portrait faisait un peu illusion. Il est si ressemblant ! C'est celui de Gérard. Il était couronné de myrtes ; il ne nous manquait que celui de la princesse Auguste, mais j'espère bien que tu me l'enverras.
Adieu, mon cher Eugène, de tes nouvelles surtout. Pense combien je suis triste et combien j'ai besoin de cette consolation.

Hortense

P.S. Je n'écris plus à maman, car je crois qu'elle sera bientôt ici. Dis-moi où il faut que je t'adresse mes lettres.

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