Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
3 novembre 1814, Paris

Mon cher Eugène, je n'ai pas le courage de t'écrire. Je suis si triste et il me faut tant de résignation que je crains de la perdre en parlant de ce que j'éprouve à celui qui le sentirait et le partagerait. Je n'ai plus beaucoup d'espoir. Le roi de France a été bien bon pour moi ; mais j'ai bien senti qu'il ne pouvait pas mettre son autorité contre la loi.
Je crois de mon devoir de représenter à mon mari qu'il ne donne ni patrie ni Etat à ses enfants, qu'il leur fait perdre peut-être le droit de Français en les faisant sortir de France et si, en défendant l'existence de mes enfants, je dois succomber, je n'aurai rien à me reprocher et je tâcherai de négocier avec lui pour conserver le second.
Je lui avais proposer de les envoyer passer quelque temps avec lui mais de laisser leur domicile en France ; il suit toujours son système de ne pas renoncer à la Hollande et veut ravoir son fils pour n'avoir pas l'air d'accepter un sort qui aurait un air de renonciation.
Le roi de Westphalie n'a pas voulu non plus accepter le sort fait par le traité du 11 avril.
C'est avec un espoir !... Et tout cela paraît un désintéressement superbe aux yeux du monde ! Et les pauvres enfants doivent souffrir et perdre leur avenir pour la fausse gloire de leur père !
Sous deux jours, on va m'assigner aux tribunaux et me voilà forcée de plaider pour mes enfants et, pour éviter cet éclat qui sera si désagréable, je tâcherai de négocier avec lui ; mais je ne puis que gagner du temps pour cela et perdre mon fils au bout de tout. Cela est bien pénible.
Adieu, je suis bien triste, il me faut du courage ; je vais tout faire pour éviter l'éclat, mais cela ne dépend pas de moi, puisque mon mari le veut. Adieu, j'espère au moins que tu auras tout le bonheur dont j'ai toujours manqué.

Hortense

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