27 octobre 1860
Lettre de l'Impératrice à l'Empereur (voyage en Egypte)

Sur le Nil, à bord de l'Impératrice

Mon bien cher Louis,

Je técris en route sur Assouan, sur le Nil. Te dire que nous avons frais ne serait pas absolument la vérité, mais la chaleur est fort supportable, car il y a de l'air, mais au soleil c'est autre chose ! d'ailleurs par télégraphe je te dis l'état de l'atmosphère. J'ai de tes nouvelles et celles de Louis tous les jours par télégraphe, c'est merveilleux et bien doux pour moi puisque je suis toujours tenue à la rive amie par ce fil qui me rattache à toutes mes affections.
Je suis dans le ravissement de notre charmant voyage et je voudrais t'en faire la description, mais tant d'autres plus savants et plus charmants conteurs que moi ont entrepris cette oeuvre qu'il me semble que dans l'admiration muette je dois m'enfermer.
J'étais bien tourmentée de la journée d'hier et de te savoir à Paris sans moi ; mais tout s'est bien passé à ce que je vois par ta dépêche. Quand on voit les autres peuples on juge et apprécie bien plus l'injustice du nôtre. Je pense malgré tout, qu'il ne faut pas se décourager et marcher dans la voie que tu as inauguré (sic) , la bonne foi dans les concessions données comme du reste on le pense et dis (sic), est une bonne chose, j'espère donc que ton discours sera dans ce sens, plus on aura besoin de force plus tard, et plus il est nécessaire de prouver au pays qu'on à (sic) des idées et non des expédients. - Je suis bien loin et bien ignorante des choses depuis mon départ pour parler ainsi, mais je suis intimement convaincue que la suite dans les idées c'est la véritable force, je n'aime pas les acoups (sic) et je suis persuadée qu'on ne fait pas deux fois dans le même règne des coups d'Etat, je parle à tort et à travers car je prêche un converti qui en sait plus long que moi. Mais il faut bien dire quelques choses ne fut-ce (sic) que pour prouver ce que tu sais, que mon coeur est près de vous deux, et si dans les jours de calme mon esprit vagabond aime à se promener dans les espaces c'est près de vous deux que j'aime à être les jours de soucis et d'inquiétude.
Loin des hommes et des choses on respire un calme qui fait du bien et, par un effort d'imagination, je me figure que tout va bien puisque je ne sais rien. Amuse-toi, je crois indispensable la distraction, il faut se refaire un moral comme on se refait une constitution affaiblie, et une idée constante finie (sic) par user le cerveau le mieux organisé. J'en ai fait l'expérience, et de tout ce qui dans ma vie a terni les belles couleurs de mes illusions je ne veux plus en entretenir le souvenir, ma vie est finie, mais je revis dans mon fils et je crois que ce sont les vraies joies, celles qui traverseront son coeur pour venir au mien.
En attendant je joui (sic) de mon voyage, des couchés (sic) du soleil, de cette nature sauvage cultivée sur les rives dans une largeur de 50 mettres (sic) , et, derrière le désert, avec ses dunes et le tout éclairé par un soleil ardent.
Au revoir et crois à l'amitié de ta toute dévouée,

Eugénie

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