Paris, le 17 mai 1866
Lettre de Saint-René Taillandier au sujet de "La Vie de César"

Sire,

Je viens très-humblement remercier Votre Majesté de l'honneur qu'elle a daigné me faire en envoyant l'Histoire de Jules César : ce sera pour moi le plus précieux des souvenirs, et je le transmettrai à mes enfants comme un titre de noblesse.
Ce second volume continuera le succès du premier. L'intérêt y grandit de page en page comme la fortune de César, et l'idée générale de l'oeuvre s'y dessine avec autant de simplicité que de vigueur. Tout lecteur impartial admirera ces deux livres si bien divisés, si bien réunis l'un à l'autre, qui se correspondent et se complètent si heureusement : dans le premier, tout le tableau de la guerre des Gaules présenté avec une précision de détails, une abondance de preuves, une richesse de documents qui épuisent la matière et donnent une vie nouvelle au récit même de César ; dans le second, le parallèle des événements de Rome et des campagnes du glorieux capitaine, c'est-à-dire une philosophie de l'histoire irrésistible. Ce plan si neuf éclaire l'époque tout entière d'un jour inattendu. Jamais historien n'avait aussi exactement suivi, aussi clairement indiqué le progrès simultané de l'anarchie romaine et de la grandeur de César, pendant ces dix années qui décidèrent du sort de la civilisation. Quand on embrasse ainsi l'ensemble des événements, on ne saurait douter que César fut véritablement l'homme de l'humanité, le représentant du droit nouveau, le gardien de l'avenir. Le jugement porté par Votre Majesté sur la victoire d'Alesia me paraît la vérité même. Considérer les Celtes comme nos pères, oublier que nous sommes les fils des Gallo-Romains, c'est pure déclamation. Il n'y avait dans cette lutte que deux ennemis en présence, la civilisation et la barbarie. Le triomphe de Vercingétorix eût jeté Gaulois, Helvètes, Germains, tout le monde barbare, sur le monde civilisé ; César a sauvé la civilisation, cette civilisation dont les vaincus eux-mêmes ont profité si largement. Que les intrigues de Rome paraissent mesquines auprès de ces grandes choses !
Le caractère des personnages qui jouent un rôle dans ce drame immense est tracé, à mon avis, avec une parfaite équité. Le génie vaste et humain de César, la vanité et l'égoïsme de Pompée, la légéreté de Cicéron, tout cela se dessine dans le récit même. Les faits parlent, et l'auteur les traduit dans un style lapidaire avec une sincérité irréprochable. Les conclusions du volume sont de la plus grande beauté. Je ne fais que transcrire ici l'impression sommaire que m'a causée une première lecture de ce grand livre ; combien de choses j'aurais à exprimer encore si je ne craignais d'être importun ! Quelle haute simplicité ! Quelle conviction forte ! Quel sentiment des obligations du chef dans les crises où se renouvelle le monde ! On ne peut s'empêcher ici de joindre, aux félicitations respectueuses adressées à l'écrivain, des voeux sincères adressés à l'Empereur. Que Dieu protège Votre Majesté ! Qu'il continue de lui accorder la gloire, la sagesse et la prospérité en toutes choses !
Daignez agréer, Sire, l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, de Votre Majesté, le très-humble et très-dévoué serviteur et sujet.

Saint-René Taillandier

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