Paris, le 20 mars 1866
Lettre de M. de Persigny à Napoléon

Sire,

M. Rouher a fait un magnifique discours, quoiqu'affaibli par une concession que je regrette. Il a remis les principes à leur place, et il en était temps. Mais je me permettrai de dire à ce sujet comme Catherine de Médicis : Le drap est bien coupé, il faut maintenant le coudre ; c'est-à-dire : il faut rétablir l'autorité par des actes. Or, comme ce n'est pas par des discours ni par les attaques des ennemis que l'autorité a été ébranlée, mais bien par la faiblesse du pouvoir, ce n'est pas par des paroles qu'on peut la rétablir. Dans huit jours on aura oublié le discours du ministre comme ceux de l'opposition, et la situation continuera en s'aggravant si l'on ne prend pas en toutes choses l'attitude que réclame le pays.
J'ai assisté aux principales séances de la Chambre. Cette Chambre est excellente ; aussitôt qu'on fait acte d'énergie ou d'autorité elle applaudit avec transport. Si depuis deux ans on n'avait pas mis tout en question et même les candidatures officielles, il n'y aurait pas eu cette défection que signale le chiffre 65 (Il s'agit d'un amendement au projet d'Adresse qui, soutenu par MM. Emile Ollivier, Buffet, etc., combattu par M. Rouher, obtint, non pas 65, mais 61). Au lieu de se ménager un effet oratoire pour la fin de la discussion de l'Adresse, si M. Rouher, dès le début, avait posé carrément la question comme il l'a fait à la fin, l'amendement n'aurait pas eu lieu, et un fait grave, le chiffre de 65, ne serait pas venu accroître la situation en sollicitant de nouvelles défections.
On a fait juste le contraire de ce qu'il fallait faire. M. Rouher a fait au Sénat contre moi une harangue d'un libéralisme exagéré, et il a ainsi encouragé les esprits dans cette voie ; puis il ne parle au Corps législatif que quand les positions sont prises, les amour-propres engagés et les noms compromis. Tout cela, calcul d'orateur qui se ménage un succès, mais politique nulle.
Néanmoins, le discours en lui-même est une déclaration excellente à laquelle je m'empresse d'applaudir ; mais Dieu veuille que les paroles soient suivies d'effet.
Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté, le très-humble et très-dévoué serviteur.

Persigny

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