Cerçay, le 26 septembre 1867
Lettre de M. Rouher - affaire du Crédit mobilier

Sire,

Je soumets à Votre Majesté une note confidentielle relative à deux vacances de recettes particulières ; je prie l'Empereur de me transmettre ses ordres par une simple note à la marge.
Les titres du Crédit mobilier et de la Société immobilière sont toujours l'objet d'une ardente spéculation à la Bourse. Ces dépréciations exagérées n'ont pas d'inconvénient au fond des choses, car elles ne modifient pas l'actif réel ; mais elles effrayent considérablement tous les petits porteurs et amènent des déclassements de titres qui sont fâcheux. Les amis de M. Fremy, et notamment M. de Persigny, regrettent vivement tout à la fois que le gouverneur du Crédit foncier n'ait pas été nommé président du Crédit mobilier, et que M. de Germiny ait été désigné pour cette position.
Pas n'était besoin de cet exemple pour savoir combien la critique est aisée. D'abord M. Fremy, après avoir ballotté les pauvres Pereire d'espérances en déceptions pendant plus de quatre mois, les avait définitivement abandonnés, puis M. Fremy, dans les dernières négociations qui ont eu, Dieu merci, une assez grande publicité, s'est tenu à l'écart jusqu'au moment où les choses étaient accomplies ; il n'a paru, à la dernière heure, que pour formuler une condition impossible, sa nomination de président du Crédit mobilier, par décret impérial, nomination qui ne serait régulière qu'après la révision des statuts votée en assemblée générale d'actionnaires. Enfin, je dois dire à l'Empereur qu'à tort, sans doute, la Banque avait fait objection à la désignation de M. Fremy. Sa préoccupation était de ne pas venir en aide au maintien ou à la reconstitution de ce qu'elle appelait une maison de jeu. Or, elle apercevait volontiers M. Soubeyran se glissant sous le manteau de M. Fremy et se servant du Crédit mobilier, non pour le sauver, mais pour l'éreinter dans de continuelles spéculations de Bourse. M. de Germiny, dont je ne méconnais pas les inconvénients, leur inspirait une plus grande confiance, parce qu'il est ancien gouverneur de la Banque.
Après tout, ni l'un ni l'autre ne représente un Deus ex machina ; le succès est tout entier dans la combinaison que j'ai soumise à Votre Majesté.
Daignez, Sire, agréer l'assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement.

E. Rouher

P.S. Si M. Fremy se décidait à accepter ce que je lui ai offert, la présidence de la Société immobilière, ce qui est la chose importante, je tâcherais de décider M. de germiny à l'abandonner, quoique je doive reconnaître combien aujourd'hui la démarche serait tardive.

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