Paris, le 12 novembre 1869
Lettre de M. Ollivier

Sire,

Mes journées se passent à réfléchir. Or, voici ce qui m'apparaît de plus en plus clairement. Votre sénatus-consulte a été une transformation dans les choses ; il faut que mon avénement soit une transformation dans les personnes.Tout en respectant les situations acquises, il faut que vous vous efforciez d'attirer à vous le plus grand nombre possible de jeunes hommes, et de donner à ceux que vous ne pouvez employer de suite l'espérance d'être utilisés plus tard. Aussi je considère comme d'une utilité majeure de procurer une élévation subite, éclatante, propre à frapper les imaginations, aux rares hommes de talent de trente à quarante ans que le dégoût n'a pas jetés encore dans les rangs du parti révolutionnaire.
Voilà pourquoi j'ai proposé à Votre Majesté la nomination de Duvernois au sous-secrétariat d'Etat de l'Intérieur. Voilà pourquoi je propose aujourd'hui la nomination de M. Philis au secrétariat de la justice. M. Philis a trente-huit ans; il est avocat ; ami et émule de Gambetta et de Ferry, il s'est séparé d'eux pour me rester fidèle. C'est un orateur vaillant et éprouvé qui ramènera avec énergie les jeunes irréconciliables avec lesquels il s'est mesuré déjà plus d'une fois.
Sa nomination aurait en outre l'avantage d'établir comme précédents que les sous-secrétaires d'Etat peuvent n'être pas choisis parmi les députés. On se réserverait ainsi un moyen de révéler à la nation des hommes de mérite qui seraient dans l'impossibilité d'arriver au Corps législatif.
Appelez à vous la jeunesse, Sire, elle seule peut sauver votre fils ; les vieillards égoïstes qui vous entourent ne songent qu'à eux.
Ma principale occupation, tant que vous accepterez mon concours, sera de chercher partout des hommes, et, lorsque j'aurai trouvé celui qui pourra mieux que moi remplir mon office, je vous le désignerai moi-même et je serai bien heureux de lui frayer la route. Cette régénération de notre personnel est urgente, sinon vous périrez d'inanition au milieu de la cohorte incapable et pusillanime de vos fonctionnaires. Il va de soi que je conseille de prendre ce qui est fort dans tous les partis ; mais ceux qui appartiennent à l'opinion libérale ont été jusqu'à ce jour proscrits avec une telle obstination, qu'il y a un long arriéré à solder à leur égard.
Je vous prie, Sire, de me croire votre tout dévoué ex imo.

Signé : E. Ollivier

Pour ne rien ébruiter, il suffit que je sois à Pais mardi. En quelques jours, dans l'état où en sont les choses, tout sera terminé.

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