Rome, le 8 mars 1870
Lettre de l'archevêque de Bourges à l'Empereur, sur l'infaillibilité du Pape

Sire,

Le siège de Lyon est pourvu ; je puis donc parler maintenant, sans crainte d'être soupçonné d'une pensée quelconque d'intérêt.
Un évêque qui a eu l'honneur d'être reçu par Votre Majesté avant de partir pour Rome m'a affirmé qu'on avait dit à l'Empereur que, seul, avec l'évêque de Nîmes, je m'étais prononcé dans mes mandements pour l'infaillibilité personnelle du Pape. On a même ajouté, si je ne me trompe, que j'étais très-exagéré, que j'étais un ultramondain fanatique.
A cette accusation, dont je n'ai pas besoin de rechercher l'origine ni le but, je réponds simplement que jamais, dans aucun de mes mandements ou lettres pastorales, je ne me suis prononcé pour l'infaillibilité personnelle et séparée du Souverain Pontif. Tous mes mandements sont là pour attester ce que j'avance.
Dans cette question comme dans toutes les autres, j'ai tenu et je tiendrai toujours à ne pas me séparer de la grande majorité des évêques. Par suite, mon langage a toujours été calme et modéré ; toujours je suis resté à l'écat des exagérations, de quelque côté qu'elles vinssent. Par caractère comme par principe, je ne les aime pas : elles faussent la vérité. Je n'aime pas davantage les partis : je considère qu'il ne devrait pas y en avoir dans l'Eglise, pas plus que dans l'Etat... Dans l'Etat, je suis avec l'Empereur ; dans l'Eglise, je suis avec le Pape. Voilà, en deux mots, ma profession de foi.
Mgr. Maret a dit à la fin de son ouvrage : "On peut affirmer qu'il n'y a jamais eu d'erreur dans les jugements des Papes, qui méritent véritablement le nom de jugement ex cathedra."
Mgr. de Châlons, dans une lettre rendue publique, dit également : "Aujourd'hui, tous les catholiques admettent l'infaillibilité du Pape."
Je n'ai rien dit de plus ; peut-être même ai-je dit moins, en ce sens que j'ai été moins affirmatif.
Telle est, Sire, l'exacte vérité.
J'aurais dû peut-être faire plus tôt cette démarche : je ne l'ai pas voulu ; je me serai reproché toute ma vie d'avoir cherché, en pareille circonstance, à exercer une influence quelconque sur les décisions de Votre Majesté. Aujourd'hui, que le motif qui me conseillait le silence n'existe plus, il m'a semblé que je devais à la vérité et à moi-même de rétablir les faits et de dissiper les préventions injustes qu'on a tâché d'inspirer à l'Empereur contre moi. Je n'ai pas eu d'autre but : si j'ai réussi, je suis content, je ne désire rien de plus. Je me trompe, Sire, je désire que Votre Majesté me conserve toujours sa bienveillance, et j'espère toujours en être digne, comme toujours j'en serai reconnaissant.
Je suis avec le respect le plus profond, Sire, de Votre Majesté, le très-humble et très-obéissant serviteir et fidèle sujet.

C.A. (de La Tour d'Auvergne-Lauraguais)
archevêque de Bourges

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