non datée
Lettre de E. Augier au sujet de "La Vie de César"

Sire,

Quand Votre Majesté m'a fait l'honneur (s'en souvient-Elle ?) de me lire sa préface, j'en ai été très-frappé : je le suis bien autrement par la lecture de son livre que je viens d'achever.
Au point de vue de la question d'art, qui me touche d'abord, il me paraît avoir un mérite tout nouveau et très-singulier : il donne la vie plus intense à ses récits sans recourir aux mièveries de l'anecdote et de ce qu'on a appelé dans ces derniers temps la couleur locale. Il a la sobriété de style et de détails que comporte l'histoire la plus sévère, et il n'en a pas la sécheresse. Il nous initie au mouvement réel de la vie publique chez les anciens, qui était restée pour nous à l'état de légende ; il déroule à nos yeux par grandes vues d'ensemble les destinées logiques du peuple romain ; il nous intéresse passionnément au développement des institutions et des idées, à l'enchaînement fatal des événements. C'est donc une oeuvre d'art des plus remarquables.
Mais c'est aussi l'oeuvre profonde d'un penseur. Il y a telle page, telle phrase de deux lignes qui ouvrent des perspectives infinies ; le présent et le passé se commentent et s'éclairent l'un par l'autre, se servant réciproquement d'explication et d'enseignement. Pour écrire un livre pareil, la sagacité naturelle et l'élévation de l'esprit ne suffisent pas ; il faut la connaissance intime et la pratique du mécanisme intérieur des événements ; il faut avoir fait de l'histoire en action. L'auteur de la Vie de César était seul en état et en position de rendre ce service à la science. La postérité lui saura gré de l'avoir rendu et dédommagera son oeuvre des injustices passagères qu'il a prévues et bravées.
Quant à moi, Sire, je remercie vivement Votre Majesté d'avoir bien voulu me comprendre parmi les premiers conviés à cette fête de l'esprit qu'Elle offre aux hommes de bonne volonté, et je La prie d'agréer encore une fois l'expression de profond respect et d'entier dévouement avec lesquels je suis
Son très-obéissant et très-fidèle sujet.

E Augier

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