non datée
Inspection générale de 186.. . Arrondissement d'infanterie
Baron Fririon

La lettre suivante donne une nouvelle preuve de la faveur dont le général de Failly jouissait à la cour

Sire,

Je ne sais si Votre Majesté aura la patience de lire jusqu'au bout les réflexions que m'inspire le décret du 12 août, par suite duquel M. le général de division de Failly, aide de camp de Votre Majesté, est appelé aux fonctions de président du comité d'infanterie, lorsqu'il n'était pas membre de ce comité. Voici deux fois, Sire, que je suis victime de mesures tout à fait nouvelles et qui blessent ma susceptibilité.
En 1859, à l'époque de la guerre d'Italie, Votre Majesté m'appela au commandement d'une division de l'armée de Paris. C'était, me dit Votre Majesté, un poste de confiance. Jusque là, les généraux de division, dans ma position, n'avaient pas été remplacés dans leur commandement ; mais je devins l'exception, ainsi que mon collègue le général Marulaz. Nous fûmes remerciés. L'Empereur, me dit-on, veut voir les officiers généraux passer successivement sous ses yeux. Après quinze mois, ma division fut dissoute, et le général qui venait prendre ma place était précisément celui que j'avais remplacé moi-même.
On me donna pour fiche de consolation une place au comité d'infanterie, que j'occupe depuis sept ans ; et jusqu'à ce jour, sans exception, conformément à l'ordonnance royale qui créa les comités, le plus ancien des généraux qui en font partie en a été nommé président. Mon tour était venu, et j'avais lieu d'espérer que je finirais ma carrière avec ce titre honorable, lorsque j'ai appris que Votre Majesté me donnait, en quelque sorte, un brevet d'incapacité en nommant d'emblée président du comité un officier général qui n'en est pas membre.
Cette mesure, Sire, permettez-moi de le dire à Votre Majesté, m'afflige comme m'a affligé l'autre. Il m'en coûte de parler de moi, Sire ; mais je suis de ceux qui ont offert leur vie et leur épée au prince président de la République, à une époque où les dévouements n'étaient pas si communs qu'aujourd'hui. Colonel du 26°, à Paris, quoique fissent nos généraux, qui nous poussaient à voter pour le général Cavaignac en 1848, mon régiment tout entier, par mon impulsion, vota pour le prince Louis-Napoléon. Plus tard, à Metz, lors du coup d'Etat, lorsque, par une lettre adressée à M. le général Roguet, je mettais mon dévouement et celui de mon fils au service du prince président, j'empêchai seul, avec mon brave régiment, une contre-révolution d'éclater dans cette ville. Les généraux restèrent inactifs et sans décision, à ce point que M. le général de division Marey-Monge, enfermé dans son quartier général, ne voulut prendre aucune mesure et donna carte blanche pour agir au seul colonel qui se montra résolu, et ce colonel c'était moi.
Votre Majesté a sans doute ignoré ces détails ; je puis mettre à sa disposition si elle le désire, quelques pages de mes impressions de cette époque ; elle saura comment les choses se sont passées à Metz.
M. le général de Saint-Arnaud, alors ministre de la guerre, après m'avoir envoyé par les voies rapides dans les Basses-Alpes pour comprimer l'insurrection, voulut bien récompenser mon dévouement, qui était pourtant tout simple, en me faisant nommer général de brigade.
Plus tard Votre Majesté m'envoya à Rome, et j'en suis revenu général de division, il y a près de dix ans, me trouvant récompensé bien au-delà de mon faible mérite. Mais, avec le temps, les choses ont bien changé, et je suis devenu, comme j'ai eu l'honneur de le dire à Votre Majesté, successivement la victime de deux mesures qui m'affligent profondément.
Je n'ai pas, Sire, à m'occuper de l'origine des officiers généraux qui entourent Votre Majesté, mais il m'est permis de faire connaître la mienne à l'Empereur.
Je suis de la seule famille qui, depuis 1800 jusqu'à nos jours, ait produit quatre officiers généraux à l'armée.
Fririon (Mathias), mon grand-oncle, général de division, appelé le Vertueux, secrétaire général du ministère de la guerre, ayant la signature du ministre durant de longues années, jusqu'en 1814. A cette époque, il refusa de suivre le duc de Feltre à Gand et préféra prendre sa retraite. Il était baron de l'Empire.
Fririon (Nicolas), mon père, général de brigade à Hohenlinden en 1800, général de division à Wagram. Est resté sous sa tente pendant la première Restauration. L'Empereur, en revenant de l'île d'Elbe, le nomma directeur général du recrutement. Il était baron de l'Empire.
Fririon (Joseph), général de brigade à la bataille des Arapiles, l'un des militaires les plus énergiques de son temps. Il refusa de servir les Bourbons et accepta la retraite qui lui fut offerte lorsqu'il était encore dans la vigueur de l'âge, à quarante-cinq ans. Il était baron de l'Empire.
Fririon (Jules-Joseph), le serviteur actuel de Votre Majesté, qui s'honore d'avoir dû une partie de sa carrière au nom qu'il porte. Mais ce nom, il peut le dire avec fierté, il l'a conservé pur : la droiture et le désintéressement des généraux Fririon sont connus de toute l'armée.
J'ajouterai que onze Fririon ont, depuis la République et l'Empire, laissé leurs os sur les différents champs de bataille ou contrées de l'Europe, parmi lesquels mon frère aîné en Espagne et mon propre fils aîné en Crimée.
Vis-à-vis de pareils titres, je me permets de demander à Votre Majesté si ma susceptibilité ne doit pas être justement émue, quand, mon ancienneté m'appelant à la présidence du comité d'infanterie, je m'en vois préférer un autre.
Je prie Votre Majesté d'excuser cette longue lettre, mais j'ai dû céder à ma conscience, à la juste susceptibilité des membres de ma famille et à mes devoirs de père.
Je la prie également de vouloir bien agréer l'hommage du profond respect et du dévouement sans bornes avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Sire, de Votre Majesté, le très-humble et très-fidèle sujet.

Baron Fririon
50 rue Cambacérès

En marge de la lettre figure l'annotation suivante : l'Empereur a lu votre réclamation, il n'a pas cru vous blesser.

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