non datée
Lettre du prince Jérôme Napoléon à l'Empereur

Sire,

J'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté :
1° Un projet de sénatus-consulte pour lequel je demande votre autorisation de renvoi au Conseil d'Etat. Il s'agit de rendre exécutoire à la Réunion la loi sur les mines.
2° Une concession d'établissement thermal en Algérie. cette concession a été approuvée par le Conseil d'Etat.
3° Une lettre de mon cousin le marquis Pepoli, de Bologne, qui m'a prié de la faire parvenir directement à Votre Majesté.
Je crois que l'Empereur doit être satisfait de l'effet produit sur l'opinion publique par un décret sur la suppression du gouvernement général à Alger et la nomination du général Mac-Mahon. Je les vois approuver par ceux qui veulent de grandes réformes aussi bien que par ceux qui sont plus craintifs.
Je vais envoyer à l'Empereur le rapport et le projet de décret sur les attributions des généraux et préfets : c'est un travail qui demande un peu de temps et d'étude. Ce qui me préoccupe, c'est le choix à soumettre à Votre Majesté des préfets d'Alger et de Constantine, ces fonctions étant vacantes. Les hommes pour appliquer un nouveau système et le faire réussir me paraissent peut-être plus importants encore que les institutions, les lettres et arrêtés. Le préfet d'Alger surtout a une belle mission ; il aura une grande part dans le développement à donner à la ville, dont l'administration municipale offre peu de ressources. L'Algérie sera la plus belle conquête du Second Empire. Mon ambition serait, pour répondre à votre confiance, de donner assez de développement à cette conquête pour que dans quelques années vous puissiez nommer votre fils roi d'Algérie, sans que ce soit un vain titre. Le développement de la ville doit donner beaucoup d'éclat au nouveau gouvernement. Je voudrais y faire faire une belle promenade, des docks, de beaux établissements, de grandes rues, un monument pour la statue de l'Empereur, et en un mot tout ce qui peut frapper l'imagination, être utile et donner une grande idée de la France et de l'Empereur. Il faut pour cela y faire arriver les capitaux privés. Un administrateur habile, ferme, persévérant, voyant les affaires de haut sans s'embarrasser des détails, poursuivant notre but, est indispensable. J'ai une idée que personne ne soupçonne et sur laquelle je viens prendre vos ordres, quelque bizarre et singulière qu'elle puisse vous paraître. C'est de nommer M. Emile de Girardin à cette place ; sans l'avoir consulté, je crois qu'il accepterait. Sa ténacité, ses talents, son dévouement, sur lequel vous pouvez, je crois, compter, sa fortune, la position de sa femme, son amour de l'étude, le rendent propre à ces fonctions, s'il veut les accepter. Politiquement, c'est un déclassé ; il est détesté des républicains ; s'il accepte, il est plus que compromis et ne pourra que vous servir. De plus, ce que ses idées politiques pourraient avoir d'effrayant, sont sans inconvénients en Algérie. Il a beaucoup de ressource dans l'esprit ; c'est un ami des mauvais jours, qui au fond aime et admire l'Empereur, qui est très-ambitieux et a la rage de faire quelque chose. Sa femme est gentille : il a 80 000 livres de rentes, dépensera et représentera bien. En un mot, je crois qu'il pourra faire beaucoup de bien et aucun mal. Même ce qui paraîtra étrange et inattendu n'est pas un inconvénient. Je réponds de ses bonnes relations avec le général de Mac-Mahon ; il a un caractère très-liant et souple avec les hommes, de bonnes manières.
Quel danger peut-il y avoir ? Si vous en êtes mécontent, vous pourrez toujours le révoquer, et d'avoir été préfet d'Alger ne le grandira pas beaucoup et n'en fera pas un homme dangereux ; au contraire, il sera compromis avec nous sans retour. Je crois avoir assez d'influence personnelle...

(la fin de la lettre manque et n'a malheureusement pas été retrouvée)

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