Paris, samedi 20 décembre 1851 Charles de Flahaut à sa femme
Vous me posez des questions sur l'état d'esprit dans le monde. L'irritation dépasse tout ce que vous pouvez imaginer. De vieux amis passent à côté d'un des leurs dans la rue et font comme s'ils ne se connaissaient point ; l'arrivée d'une figure déplaisante met en fuite un salon entier. La pauvre Mme de Liéven est restée complètement seule durant plusieurs soirées, chaque parti craignant de se rencontrer avec le parti adverse. Canouville était sur le point de me dépasser dans la rue sans s'arrêter, mais je l'ai saisi au collet et nous avons eu un moment d'entretien : il est très monté. La Redorte est absolument fou et furieux de n'être pas arrêté ; sa femme (Elle était la fille du maréchal Suchet, duc d'Albuféra) et la Maréchale sont modérées, paraît-il, mais je ne les ai pas vues. Sauf mon vieux camarade le général, les Ségur sont inabordables, Amélie une vraie furie. Le club de l'Union aussi hostile que possible ; le Jockey plus présidentiel. On me dit que quelques-uns de ceux qui ont été arrêtés puis relâchés sont assez raisonnables - Roger, Piscatory, Lasteyrie, Rémusat, - mais leurs épouses sont de véritables furies. Les généraux de Ham ne se montrent pas violents, à l'exception de Bedeau qui rage - devinez - ... parce qu'il a vu faire ce qu'il a eu la lâcheté de ne pas faire en 1848. Remarquez le contraste entre le langage et l'action. La lettre a été écrite le 17, reçue le 18 et on y a répondu le 19 - jour fixé pour le départ de la prison. Très bien, n'est-ce pas ?
* Dans l'entourage de l'Empereur (Emile Dard / Plon / p.61)
toute la correspondance échangée entre Charles de Flahaut et sa femme Margaret Mercer Elphinstone |