Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
11 décembre 1815

Je reviens à ce pauvre maréchal Ney, car on ne peut à autre chose : on a été d'une dureté extrême avec lui, le jugement avait été prononcé à une heure du matin et c'est à 8 h qu'on est venu lui dire qu'il allait être fusillé, il a demandé jusqu'à 4 heures (pour mettre de l'ordre à ses affaires) on le lui a refusé. Il a demandé à voir son beau-frère : refusé . Son homme d'affaires : refusé. Au moins un garde national pour transmettre ses volontés : refusé. Et on l'a mené à la mort sans un ami, sans personne des siens qui prit intérêt à lui. A 8 heures 25 minutes, il n'était plus. Pendant ce temps, Mme Ney était allée aux Tuileries pour tâcher de voir le Roi et de prier pour la grâce. C'est là, c'est dans l'antichambre des valets qu'elle a appris que son mari n'existait plus. Elle a des moments de folie depuis cet instant où elle jette des cris affreux.
Le Roi a prié le duc de Wellington et les Anglais de s'en aller sur la frontière parce que l'on cherchait à animer contre les Anglais dire qu'on les a gardés ici pour l'exécution du maréchal , et qu'après on les renvoie.
Le duc de Wellington qui avait fait venir sa femme, qui attendait ses enfants le dix-huit, est dit-on, peu flatté du compliment. Le Roi lui a dit qu'il était sûr de l'amour de son peuple. Le fait est que c'est la faction Russe qui a fait cela et que le ministère et la Cour sont tout Russes.
Ce qui est sûr, c'est que ce qu'on appelle les Bonapartistes étaient beaucoup plus poli pour les Anglais, et cela étonnait la Cour de tout ce qui les étonne, les effraie. On a beaucoup répandu ici que si le duc d'Orléans avait été prier le Prince Régent de s'intéresser au maréchal Ney et avait réclamé la capitulation de Paris, j'ignore si c'est vrai, mais tout le monde le croit, pour s'en offenser, ou s'en réjouir.
Une chose fort extraordinaire est que la veille du jugement, il est venu au palais Royal un homme à la livrée du duc de Wellington dire que son seigneur venait de recevoir une lettre du Prince et que son altesse arriverait le soir . Les aides de camp, les secrétaires, ont fait chauffer, éclairer, préparer un souper , attendant jusqu'à une heure du matin. Point de Prince. Le lendemain, un aide de camp (que tu connais) a été chez sa seigneurerie savoir ce que cela voulait dire ? Milord s'est mis fort en colère, a dit que c'était un tour de la police, qu'il n'avait point envoyé , pas un de ses gens n'y avait été, on se casse la tête pour savoir à quoi cela rimait.
Ecris-moi tout simplement comme tu m'écrivais de Lyon, à la même adresse, parle-moi de ta santé, des bons traitements que tu éprouvais, j'espère, et rien de public questions. Les anglais n'étant plus ici , Fromentel ne peut plus recevoir tes lettres.
Quand ils seront partis, je t'écrirai aussi avec beaucoup de circonspection. Je te dirai seulement que je t'aime de toute mon âme parce que c'est le sentiment de tous les tiens, plus vifs encore dans le malheur.

retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut