Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
15 décembre 1815

Nous sommes aujourd'hui le 15. Demain l'on fête les Adèle . Aujourd'hui, tu m'aurais embrassé , peut-être chanté . Te souviens-tu , rue d'Anjou, lorsque tu allas donner pour boire à mes gens en ayant l'impertinence de leur dire : "C'est aujourd'hui la fête de maman, buvez à ma santé" Hélas, tu avais bien raison, il n'y avait pas de fête pour moi si tu étais malade ou malheureux, mais toute cette confiance de 16 ans que tu avais alors, avait alors un grand charme pour moi .
Je vis ainsi de mes souvenirs, ce que tu as fait de bien, ce que tu m'as dit de tendre, je recherche tout et souvent je suis bien heureuse, souvent, bien souvent.
Je t'ai mandé qu' Henri de la Bedoyère avait demandé et obtenu la place de sous-lieutenant des gardes du corps, on a fait tant de cris sur cette grâcele prix du sang de son frère. Il a reçu tant de lettres anonymes qui le traitaient d'infâme, il a été si mal vu dans son corps qu'il vient dêtre obligé de quitter, et il est nommé colonel de la garde nationale à cheval. Voulant dire, il avait une place qui ne rapporte rien afin qu'on voie qu'il n'est pas intéressé.
Du reste, malgré tous les désagréments qu'il a eu, il n'a cherché querelle à personne. Ce que c'est que la douceur !
Le duc de Wellington a paru bien aise hier que tu fusses arrivé à bon port et qu'on te reçût bien en Angleterre. Non seulement le Roi a dit qu'il n'avait plus besoin des Anglais, qu'il les invitait à s'en aller, mais il les pressa de déguerpir, et je sais qu'intérieurement ils en sont très blessés. Nous sommes tout à fait Russes ! Il n'y a rien de tel que de s'appuyer aini sur des voisins !

Le général Decaen a été arrêté avant-hier à 5 h du matin dans son lit et mené à l'abbaye. On en ignore le motif. Les autres généraux Colbert, Belliard ... qu'on disait devoir relâcher après l'affaire de Ney , sont toujours en prison et l'on ne sait pas comment finira leur affaire.
Que je suis heureuse de te savoir en sûreté et en liberté. J'ai remis à Mme de ... les deux lettres pour ta cousine car tu ne m'as pas donné de direction pour les envoyer. Elle a dû les faire partir à l'adresse d'un tiers. Cette pauvre cousine est en voyage, c'est ce qui fait apparemment qu'elle n'écrit point, je n'ai rien à t'envoyer aujourd'hui.
Apprends bien l'anglais ; pour te remettre les mots dans la tête, il te suffira de lire un ou deux ouvrages dans cette langue. Que je me félicite d'avoir été une mère barbare et de t'avoir mis dans cette école anglaise , toi pauvre petite créature qui n'entendait pas un mot de ce qu'on y disait . Je t'avais repris là, et jeté dans un pays allemand, nous en ferons autant à Auguste, pauvre petit ! Je ne sais si je te l'ai déjà écrit , mais l'autre jour il est rentré tout colère parce qu'il avait froid et m'a demandé : "Pourquoi fait-il froid quand il fait soleil ?"
Ah mon Dieu ! on m'apporte mon journal, le tribunal a confirmé l'arrêt contre ce pauvre M. de La Valette, il n'y a plus d'espoir que dans la grâce, on s'en flatte, j'en doute ! et je suis sûre, mon enfant, que nous sommes malheureux !
Je t'embrasse.
Lord Kinnaird. me charge de te direque son beau-frère peut t'être fort utile pour t'éclairer sur le prix de toute chose.
On m'assure que les lettres que je t'envoie par le courrier ne coûtent rien à ceux à qui je les adresse par Frementel (?) les tiennes ne lui coûtent rien non plus.
Ah, que je suis triste !
Je t'embrasse de toute mon âme. Papa te dit mille choses. Il est plus mélancolique que jamais, et je n'ai plus eu de quoi le distraire ; nous passons des heures à nous regarder sans parler et à soupirer.
Enfin, tu es en sûreté et j'en remercie le ciel.
Dis à lord Holland qu'il devrait s'abonner au journal de Gand (?) c'est là où il verra nos affaires . Il est fort attendu en France.
Puisque tu es à Holland House, est-ce que tu ne crains pas d'y ... Restes-y tant que tu sentiras que tu peux y ...
Adieu, cher ami, je t'aime de toutes les forces de mon âme.

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