Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
30 décembre 1815

Je commence encore cette lettre par des voeux de bonne année, je la finirai demain, après-demain, et toujours je te dirai combien je désire que tu sois heureux. Je souffre toujours depuis cette nettlerash , mon foie me fait mal, mais j'ai eu tant de chagrn et d'inquiétude depuis 6 mois qu'il faut bien que ma santé s'en ressente. Actuellement que me voilà tranquille sur ton cousin je m'afflige pour ce pauvre Drouot sur qui retombera toute la colère, du moins on le craint fort. Positivement, ton cousin est hors de France, on dit que l'on va mettre sa femme en jugement, et que le moins qui puisse lui arriver est d'être un an en prison.
Mme Hope (?) a écrit à lady Kinnaird qu'elle ne savait où te prendre que tu n'étais pas venu la voir et qu'elle désirait bien cependant t'être utile et obligeante. Ma bonne petite lady Kinnaird m'a dit de te recommander d'y aller , que c'était une maison où il allait beaucoup de monde, et qu'elle souhaitait (et je le désire aussi) qu'on te vît, parce qu'alors on t'aimerait, et que ta bonne réputation, ta vogue (?) même en Angleterre empêcheraient le ministère d'ici et le ministère de là-bas de te tourmenter. Cette bonne lady Kinnaird m'a dit avec une joie comme si elle était notre soeur qu'il était venu plusieurs lettres de Londres, qui toutes parlaient bien de toi, qu'on les citait devant le duc de Wellington qui a dit tout haut : "M. de F. est le seul Français que je respecte." Tu juges quelle satisfaction j'ai éprouvée !
M. de Souza qui prétend que lorsqu'on dit du bien de toi, j'ai l'air d'un chat qui boit de la crème.
Il est souffrant d'une sciatique, ce pauvre papa. En tout il change beaucoup. C'est encore une bien véritable inquiétude. Que de mal lui a fait M. Bego ! Il n'aura rien à répondre au fait que depuis sa sortie du ministère, nous sommes fort tranquilles.
Voir M. Bonnet qui part lundi et te portera un habit noir , un gilet, des inexprimables et deux paires de souliers. Je garde les bottes pour M. Davier (?)
Le général Gérard a écrit à Gabriel (de Bruxelles) qu'il était bien enchanté que tu fusses en sûreté et qu'il le chargeait de mille amitiés de sa part pour toi. Que tes amis et camarades pensaient bien à toi.
Que dis-tu de ce pauvre Cambronne qui est parti de Londres pour se rendre à l'abbaye ici, et demandé d'être jugé ? Il dit qu'il n'avait pas de quoi vivre dehors et qu'il ne demandait pas mieux que de finir dans la vie, qu'il veut son pays ou mourir. Quand il est débarqué à Calais, on a fait tout au monde pour l'engager à retourner, il n'a jamais voulu, et le voilà en prison.
Papa dit que tu n'écris pas souvent, que tu ne te gênes pas. J'aime à penser que tu as de ces mille petits devoirs de société qui, s'ils n'amusent pas, distraient.
Quant à moi, depuis que tu as quitté à la maison littéralement, je ne suis sortie que quatre fois, aussi m'a-t-on bien oubliée. Sans mes peines, je serais aussi tranquille que si j'étais morte. Mais il faut cela pour assurer papa qu'il pourra faire l'édition du Camoëns. Dans ces quatre fois, il y en a eu trois lors de ton arrestation.
Adieu cher et bien cher ami, tu n'as aucune idée comme je n'existe que par toi et pour toi. A demain.

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