Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
18 avril 1817

Mon enfant, je t'envoie ton extrait de baptême parce que lord K. verra du moins qui étaient tes père, grand-père et oncle et puis cela pourra t'être nécessaire. Cependant le copiste a oublié de mettre à moi la haute et puissante dame qui est dans l'original, mais je te le renverrai mardi.
Briqueville n'est en prison que pour une péccadille . Il en sortira bientôt. Je te raconterai que M. d'Ambrijeac (?) (ou Bertillac) a trouvé l'autre jour le général Woronsov qui sortait de la Comédie au commencement de ... , il lui a demandé où il allait ? - Je m'en vais parce que je n'ai pu avoir de place - Hé bien, je vais vous mener dans la loge de Mme d'Aumont - Je ne la connais pas - Je vous présenterai. Et en effet les voilà dans cette loge la présentation faite. Mais Mme d'Aumont qui est un peu sourde n'entend point le nom de M. de Woronsoz qui, après les révérences prend la première place auprès d'elle sur le devant de la loge. Deux minutes après, entre le maréchal Victor et Mme d'Aumont impatiente de ce que M. de Woronsov ne dui donnât point de place lui dit : Monsieur, c'est le maréchal Victor. Et le Russe de se lever, saluer, et de s'asseoir. Monsieur, reprend la dame, c'est un maréchal de France. Et le Russe de se lever, saluer, et de s'asseoir. Alors Mme d'Aumont hors d'elle lui dit : Monsieur, si vous veniez à côté de moi, vous verriez aussi bien et Monsieur le maréchal serait placé convenablement. M. de Woronsov obéit, reste deux secondes auprès de Mme d'Aumont et s'en va. Quand il est parti, Mme d'Aumont demande à M. d'Ambrijeac : Quel est l'homme mal appris que vous m'avez amené ? Madame, c'est le commandant du contingent Russe. A ces foudroyantes paroles, voilà Mme d'Aumont au désespoir qui court chez la Princesse Bagration raconter ce qu'elle appelle son malheur et lui demander à dîner avec M. de Woronsov pour s'excuser.
Le dîner a lieu et la Princesse y invite plusieurs ultras ; les excuses se font, l'on se met à table, mais voilà que tout ce monde entre même leurs opinions pour plaire au vainqueur du Nord , et M. d'Aumont lui dit : N'est-il pas vrai général qu'on aurait dû chasser hors de France tous ces brigands de l'armée de la Loire ? Depuis que je me suis ... répond M. de Woronsov, j'honore et respecte l'armée française , et je plains bien les Français qui n'ont pas servi dans ses rangs devant la gloire de leur patrie. Et aussitôt après le dîner, il s'en va conter cela à Mme Demidoff qui me l'a dit, mais ne le raconte pas car m'a-t-elle ajouté, il en serait fâché.
J'attends avec impatience ta lettre à M. de R. et à M. de C. Envoie-les moi ouvertes, qu'elles servent de base à ma conversation. Baring, à qui j'ai conté toutes les bêtises et sottises de M. d'Osmont doit leur dire comment tu es en Angleterre. Tu ne dois pas savoir qu'on a dit à lord K. que tu n'étais comte que de la façon impériale.
Adieu, cher ami, va voir M. Bathurst qui te porte cette lettre, c'est un homme chamant qui aime tant son père, sa mère, qu'il me fait venir les larmes aux yeux en m'en parlant. Je l'aime assez pour avoir été au moment de l'appeler : mon enfant.
Tu sais que c'est tout ce que je puis dire de mieux. J'oubliais de te dire que deux jours après ce dîner, M. de Woronsov a été sans même y avoir été invité au convoi du maréchal Masséna.
Adieu mon fils, mon frère, mon ami, l'âme de ma vie.
... fonds ont baissé de 40 sous depuis hier. On ne sait pourquoi. Papa te demande de prier Palmella de lui envoyer le Camoëns (qui lui sera adressé de Lisbonne) le plus tôt possible. Il languit après. Il est impossible d'être meilleurs pour nous que M. et Mme Baring et de mieux parler de toi.
Si tu as à faire de ton extrait baptistaire, uses-en, car tu ne pourrais pas avoir l'autre avant 15 jours parce que je ne pouvais te l'envoyer que jeudi prochain à cause du visa.
M. Cranford est venu me voir ce matin et s'est attendri comme s'il était revenu exprès à Paris pour moi. Mes compliments au bon M. Frecki.
Mon Dieu, mon enfant, comme je t'aime, comme je désire ton bonheur et comme j'aimerais tout ce qui te rendras heureux .
Ton cheval est fort malade.

retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut