Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
19 août 1818

Enfin notre ami Frecki est arrivé hier et est venu chez moi aussitôt ; je le connais à présent comme si j'avais passé ma vie avec lui. Il vient ici pour trois mois et je doute, vu l'état de la société qu'il soit entraîné à y rester trois ans comme il a fait en Angleterre. Je me l'étais persuadé avec son bon coeur, une figure noire passée au feu et voilà que c'est un blond, chose fort rare en Italie.
Nous avons bien parlé de toi, mais pas encore assez. Il s'est en allé à 11h 1/2, je me suis couchée, et à peine étais-je dans mon lit qu'on m'a annoncé le comte Funchall arrivant d'Italie. Je l'ai fait entrer. M de Souza s'est mis à causer avec lui en Portugais, et je me suis si bien endormie que je ne sais pas l'heure à laquelle ils se sont en allés. Ce comte Funchall dîne demain chez moi avec Frecki ; voilà toute notre histoire.
La conspiration ultra va son train. M. de Vitrolles a été interrogé avant hier pour la seconde fois. Un capt. vendéen nommé La Roche et ami de Canuel a été arrêté. M. de Baring est arrivé avant-hier, repart dans huit jours pour Spa (et de là il ira au congrés, mais de ce dernier point il ne convient pas) et sera ici dans les 1ers jours d'octobre pour finir son affaire et la nôtre.
J'ai vu hier madame Baring toute effrayée de cette conspiration ultra. Je l'ai rassurée, et je crois bien qu'ils feront tout au monde pour faire un mouvement, on s'y attend, qui persuade aux étrangers que la France n'est pas tranquille, et que l'armée d'occupation doit rester ; mais ce mouvement, cette dernière convulsion, ce dernier effort ne sera jamais contre les bailleurs de fonds, ni les étrangers.
M. de Case s'est marié avant-hier pompeusement, ses témoins étaient M. de Richelieu et le maréchal Oudinot. M. de Semonville donnait la main pour la chapelle, à la duchesse de Brunswick ; ainsi voilà le petit Case, comme l'appelle M. de Talleyrand, allié très proche des maisons de Nasseau et de Brunswick, cela vaut un peu mieux que la parenté Grant.
Je n'ai pas entendu parler des deux Cernois (?) porteurs de la bague.
Adieu, mes bons et chers amis, je vous quitte pour aller entendre, chez M. de Souza, une traduction du Camoëns, et il ne plaisanterait pas, si je me faisais attendre, et si je n'étais pas toute yeux et toute oreilles. J'ai eu un mouvement de joie très vif en voyant entrer M. Frecki, il me semblait qu'il venait s'assurer si la terre était encore humide, mais je ne la crois pas encore bien sèche, au surplus je te dirai cela quand les interrogatoires Canuel seront finis, ce qui sera d'ici à huit jours. On assure que l'on a trouvé chez lui une liste de 1500 personnes à occire ; un pareil homme doit se servir de pareils moyens.

Mes enfants, mes amis, que je serai heureuse de vous revoir.
Parlez bien de moi à lord et lady Gray , elle ne m'a pas répondu, elle ne m'écrit plus, et cependant je compte bien sur son amitié car elle me l'a promise et n'est point de ces caractères qui changent.
Ma fille, mon fils, je vous aime de toute mon âme.

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