Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
19 mars 1818

Palmella me paraît bien triste d'aller au Brésil et il ne se dégoûtera pas de l'Europe en passant le temps précédant son départ à Paris dans le goût de nos spectacles, les amusements du jeu, car jamais cette passion n'a été si vive que dans ce moment... c'est dans de très bonne compagnie que sont les plus grands coupe-gorge .
Casimir a perdu l'autre jour 96 mille francs dans une nuit. Je ne le vois plus du tout et cela me paraît tout simple.
Les vieilles amies de M. de Tall... rentrent tous les jours à ... heures du matin. Ah ! que diraient les choux et et les petites amies si elles voyaient ce train. Lord Kinnaird est toujours ici, son monsieur à la Conciergerie, , sa madame aussi, tous deux au secret. On prétend depuis hier que l'on tient le fil de ce complot mais je ne sais que cela. Si j'apprends quelque chose d'ici à quatre heures, je te le manderai.
J'ai reçu hier une lettre bien aimable de Frecki, je vais y répondre, je te l'enverrais sous ces ports si ruineux.
Mon enfant je t'aime de toute mon âme, et je vais conter à ma fille une histoire que j'ai apprise hier.
Ma très chère et très honorée fille, la vieille Mme de Caulaincourt me disait hier qu'elle avait fait une fausse couche à sa première grossesse. Lors qu'elle devient grosse une seconde fois, son beau-père, qui désirait passionnément des petits-enfants pour assurer son nom, l'ayant appris, entra chez elle un matin, lorsqu'elle était encore couchée, demanda à sa femme de chambre tous les souliers de madame. - Hé , pourquoi donc, mon papa ! - Vous allez servir ma fille ! Effectivement, les souliers présentés, il en fait un paquet, les emporte dans son appartement, puis revient, et dit à sa belle-fille : Si vous m'aimez, si vous me respectez, vous ne poserez pas vos pieds à terre que vous ne soyez accouchée, on vous portera de votre lit à votre chaise longue , pendant ce temps nous aurons bien soin de vous, mais je vous veillerai si bien que mon petit-fils arrivera à bon port. Elle fut obligée de se soumettre et me dit cette bonne vieille, je ne commencerai à marcher que pendant les douleurs du travail (jusque là, ses pieds ne posèrent pas à terre) j'ai souvent béni mon beau-père car c'était ma grossesse de mon fils que je préfère à tout. Ce que je vous mande là ma fille, c'est ce que j'appelle un apologue. C'est ce que les peuples appellent : à bon entendeur, salut. Ce sont de ces petits sous-entendus qui tracassent une famille ; enfin, c'est tout ce que vous voudrez, mais c'est surtout du plus vif intérêt, du plus tendre attachement.
Un rosier commence à pousser, mes violettes sont en fleurs, êtes-vous aussi avancés que cela en Ecosse ?
Il y a eu un grand dîner des habitants de Perthshire où l'on a dit mille biens de mon fils, et Hume est venu me le conter avec un sensible plaisir.

Adieu, je fermerai ma lettre tantôt pour voir si l'on ne désire quelque chose, mais en attendant je vous embrasserai de toute mon âme pour n'en pas perdre l'habitude, mes chers enfants.
T'ai-je dit que papa avait reçu une bref du pape en remerciement du Camoëns où il déclare ce livre le plus beau qu'il ait vu (C'est l'opinion qu'on en a en Italie) Il l'appelle : mon cher fils. La lettre équivaut à des indulgences pleinières car il lui donne mille bénédictions. Cela m'a rappelé une sotte histoire du célèbre Le Notre qui avait dessiné tous les jardins de Louis quatorze, il fut demandé à Rome pour en faire des pareils et Sa Sainteté, lorsqu'il les eut terminés, le pape lui offrit pour récompense des indulgences ! - Ah ! Saint-Père ! s'écria Le Notre, ne pourriez-vous pas plutôt me donner des tentations ? Et voilà la belle histoire que j'ai racontée à Papa au milieu de son orgueil et dont il a eu la bonté de rire.
Manuel demande à François une lettre de Manette (?) dans laquelle elle disait avoir placé chez M. Perrigaux son argent. Manuel la lui annonce et je ne l'ai pas reçue. Celle qu'il a ne le dit pas assez clairement.
J'ai un cahier de papier blanc, une plume neuve pour commencer une nouvelle dont l'idée m'a paru très jolie. Cependant je ne la ferai pas imprimer, je ne veux point me donner à manger aux mouches dans ce bien heureux temps où l'esprit de parti dénature tout, l'on est de même des deux côtés. Quelqu'un me disait d'un air bénin : Quand ils font mal je ne les aime pas, mais tout à coup il prit l'air furieux, mais quand ils font bien, je les execre.
Adieu mes chers enfants, je vous aime avec une tendresse, une douceur, une affection qui seules feraient le bonheur si même vous ne me rendiez pas la pareille , comme on dit en Normandie. Je vous embrasse encore.

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