Lettres de Monsieur de Souza
à son beau-fils Charles de Flahaut
25 octobre 1818

Si je ne vous ai point écrit depuis longtemps, mon cher Charles, ce n'est pas faute de penser à vous, car j'ai pris une bien vive part à tout ce qui vous a fait de la peine, comme à tout ce que nous avons appris du succès que vous avez en Ecosse, dont tous les Ecossais qui sont venus ici nous ont informé : mais la correspondance de maman y répondait pour tous deux. Avec quel plaisir vous avez été attendu ici ! Il serait superflu de le dire puisque vous savez l'extrême tendresse avec laquelle vous y êtes aimé. Nous avions endimanché la maison ; tout était préparé ; et le désappointement aurait été très fâcheux dans cette cause tant désirée par nous. Puisse le succès répondre à nos voeux ! Je l'implore et l'espère. J'espère aussi que vous serez tous les deux bien sages (Que Madame pardonne l'expression à un vieux papa) et que les ordonnances du docteur Hamilton soient exactement suivies. Il faut une grande tranquillité d'esprit et de corps, surtout après les deux fâcheux accidents. Et cela non seulement après le 3ème mois, mais jusqu'au 9ème. La soeur de votre aide de camp Guys vient de faire une fausse couche au 8ème mois, pour avoir pris froid. Elle a souffert beaucoup pendant quatre jours, et l'enfant n'a pas vécu plus de deux jours. Avisé de cela, mon bon ami, je dois vous parler, malgré ce qu'il m'est conté, le langage de la raison. Vous avez l'intention de venir ici pendant la grossesse de votre femme : mais il faut se résigner à cette privation jusqu'à ce qu'elle soit accouchée. Songez que pendant ce temps vous vous devez tout à elle et devez vous montrer le meilleur des époux, comme vous avez toujours été le meilleur des fils, enfin le modèle par excellence dans toutes vos relations et dans tous vos états. L'orgueil enfin de vos papa et maman. Oui cher Charles, il me peine de vous conseiller de ne pas venir à présent. Vous seriez vous-même en grande inquiétude. Nous le serions aussi doublement, et si par malheur il arrivait quelque accident (que Dieu nous en garantisse) vous ne vous consoleriez et nous ne nous consolerions jamais d'être cause d'une telle séparation dans cet état. Jugez d'ailleurs ce que dirait le monde toujours disposé à médire, ce que dirait la famille de Madame. Non mon ami, ne venez pas, ajournez cette visite jusqu'au temps où vous viendrez tous les deux et le petit poupon. Alors nous serons au comble du bonheur. Il faut des raisons aussi fortes pour nous en priver. Mais nous devons faire ce sacrifice. Notre plan pendant ces neuf mois est au prix de votre excellente femme.
Vous savez combien je suis heureux d'exécuter vos commissions, mais il faut que vous vous expliquiez mieux. Par ex. pour les vins. Depuis deux ans, je n'ai pas vu d'une seule cave à vendre, qui valut la peine d'y acheter. Les marchands n'ont que de mauvais vins et très cher, que les Anglais sablent comme s'il était délicieux, ce dont je suis étonné. Ainsi le Bordeaux, Champagne, et vins du Rhône, il conviendrait bien mieux de le commander dans ces endroits, plutôt que de le payer ici avec l'octroi qui en double le prix. Les vins de Portugal et d'Espagne les dont venir en droiture.
Vous avez ici encore quatre cents et tant de bouteilles de différents vins, et outre cela vous pouvez disposer de ceux que j'ai comme les vôtres, désirant en avoir plutôt.
Ce n'est que deux jours que j'ai appris la nouvelle demeure (?) de Riban (?) qui vend les eaux de senteur et je ferai votre commission. Les habits que vous avez laissés ici malgré tous les constants soins de Manuel se détériorent par les vers qui semblent s'y être fait un domaine. Que faut-il faire ?
Nous avons désiré une collection du musée. Il y en a trois différentes. Je vous ai demandé laquelle, et vous n'avez pas répondu. Je ne me rappelle point d'autres commissions. Papa vieillit beaucoup, il n'y a que le coeur de jeune, aimant le tout petit nombre d'amis avec toutes les forces de l'âme. Nous vivons presque seuls. Je vais au Français presque tous les jours par ancienne habitude, car ce théâtre tombe d'une triste manière. Peut-être suis-je dans l'état où était Bertrand - candata temporis noti - Je le sens et suis tout étonné de voir Dominique jeune comme à vingt ans et jouissant de Paris dans toute la plénitude de cet êge. P. ne me paraît pas si gai, et en effet, il y a de quoi rendre soucieux. Lavis est toujours à Madrid quand sa présence serait bien nécessaire chez nous. J'ai perdu le Principal et mon nevau qui le remplaçait est nommé à ... Je n'ai plus personne là ! C'est ce qui arrive à mon âge.
Bien cher ami, bon Charles, excusez ces tristes lignes. Je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur. Mes respects à l'aimable dame. De Jose Souza.

Ajout de Mme de Souza

Voici une lettre de papa mon cher Charles, et tout en pleurant je suis de son avis, reste près de ta femme et ne la laisse pas solitaire à Edimburgh, que je vois bien qu'elle déteste. Les soins du docteur Hamilton lui sont nécessaires, mais la société, la sévérité même pour le régime le sont encore plus. D'ailleurs que deviendrais-tu s'il lui arrivait un accident pendant ton absence, tu te le reprocherais toute ta vie, et quand même un accident ne serait pas probable, il suffit qu'il soit possible pour que tu ne la quittes pas. J'aimerais bien mieux aller en Ecosse pour ce bienheureux moment s'il n'y avait pas d'inconvénient. D'ailleurs on écrit tant de là que tu es le plus charmant des époux, que je veux que tu en aies toute la réputation comme tu en as le mérite. ; et puis je ne dormirais ni jours ni nuits en pensant que Marguerite est peut-être souffrante et en danger pendant que tu es près de moi. Non, non, souffrons encore qu'elle accouche heureusement et pour le coup, que l'amitié fraternelle reprennent ses droits entre vous deux, et qu'il n' ait plus d'obstacle pour venir passer quelques mois avec moi ; quelle joie de vous voir arriver avec le petit que je bénis de toute mon âme.
As-tu été content des chaises. mais il me faut accuser de réception de 6 chaises avec leur bordure, des coussins pour mettre les pieds, aussi de mon ouvrage, et de 6 paires de souliers. Je fais actuellemnet un fauteuil avec une belle guirlande de marguerites couleurs de rose, mais Frecki dit que l'on n'a point de fauteuils en Angleterre, excepté d'excellents cabots comme en avaient ici nos grands pères, est-ce vrai ? Les fauteuils autrefois n'y avaient pas de dossiers qu'en bois d'acajou travaillé comme les chaises ...-moi là-dessus. Voilà une lettre de Girardin dont j'ai ôté le superflu de papier blanc, sans la lire, je n'ai d'ailleurs nulle curiosité pour ce qui vient de là.
Ma chère fille, votre lettre m'a enchantée. je vous remercie de toute mon âme, je vous bénis de tout mon coeur. Laissez mes chaises dans votre salon à Edimbourg, j'en ferai d'autres et plus jolies pour celui de Londres. En avez-vous reçu deux avec les soies pour vous amuser à travailler. Est-ce ce qui vous convenait.
Je vous aime et vous embrasse tous deux de toutes les forces de mon âme. Je remercie Ld Flemming d'avoir voulu m'amener Charles, mais croyez-moi, ce serait une source éternelle de malheur. S'il vous arrivait le moindre accident ... cesserait-il de m'aimer, en pensant que s'il ne m'avait pas vu ici, il aurait un bel enfant, et votre santé assurée pour toujours. D'ailleurs, qui sait si vous seriez aussi soumise au docteur Hamilton pendant l'absence de ce sauvageon de Charles. Là non, non, qu'il vous couve des yeux.
L'absence est le plus grand des maux, et quel repentir, quels regrets car je soupçonne que vous ne seriez pas de montrer si prudente pendant son absence .
Adieu mes bons amis, je vous aime de toutes les forces de mon âme et mille fois plus que moi-même.

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