Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
5 août 1818

Nous sommes dans l'attente des quelques dernières tentatives par les ultras , cependant je crois que c'est déjoué mais cela n'est pas encore sûr. On arrête beaucoup de monde dans la Vendée entre autres le second mari de La Barette, héros de l'armée de Condé, qui n'a qu'un oeil, et fort ultra ; le ministère vient cependant de faire l'acte d'autorité de casser la garde nationale de Nimes (?) et de suspendre dans ce département 52 maires. Il faudrait qu'il ôte toutes les places à ceux à qui on les a données en 1815, mais le plus souvent il se contente de les changer de lieu. Gabriel, qui voit beaucoup de monde, croit à un mouvement d'ici au 1er septembre et qu'on appelle les libéraux ou bonapartistes en fort tranquille. On dit que le projet de Canuel était de faire une St-Barthélémy générale de ces innocents. Ce qui est certain, c'est que les ultras veulent absolument faire un mouvement pour que les troupes étrangères aient un prétexte de rester en France. Sans quoi ils se croient perdus.
Je n'ai pas de tes nouvelles depuis quatre courriers, cela m'inquiète et m'afflige. J'ai peur que ma fille ne soit malade. La maison sera prête le 1er septembre, parce que pendant qu'on y était, l'on a repeint toutes les fenêtres de la porte de la rue, c'est une odeur à devenir folle. Mais tout cela sera sec et passé pour le 1er septembre. Ta petite chambre sur la cour sera fort jolie, mais un four en été et une glacière l'hiver ; ca il n'y a pas de poële ni cheminée, et l'on ne manque pas un rayon de soleil. Cependant on pourra mettre un poële en le faisant passer par une des fenêtres. Tu verras cela. Tu m'as demandé ce qui ferait plaisir à Gabriel, je crois qu'il voulait quelque chose en cuir de Russie. Carbonnel désire un petit canif plat à huit lames comme celui que tu avais envoyé à papa, que d'ailleurs on a pris dans ma chambre, ce qui me désole.
Morel est parti, je te l'ai déjà mandé.
Ma fille, ma chère fille, j'ai laissé par terre dans votre salon tous les tableaux afin que vous les arrangiez vous-mêmes ainsi que Charles dit que tel est votre bon plaisir. Cependant j'aurais bien aimé à mettre tout en place pour que votre appartement ait un certain air d'arrangement mais vous excuserez cela.
Que je serai heureuse de vous voir, mes bons amis, je vous aime, je vous embrasse de toutes les forces de mon âme. Avez-vous vu lord Flemming ? Mes chaises sont-elles arrivées en bon état ?
Je vous quitte parce que j'ai un mal de tête fort de toute cette peinture.

Le grand piano est établi dans le salon de ma fille. Mais comme je connais le goût des dames anglaises pour les tables, si vous pouviez apporter un de ces beaux tapis de draps peints avec une bordure de fleurs, ce serait assez bien, mais j'ignore si cela n'est pas contrebande ; cependant en le marquant de votre nom, cela aurait l'air bien à vous.
J'ai reçu hier le baril de saumon, ainsi je pourrai vous en donner.
On dit que Frecki arrive comme un pape à petites journées et avec ses chevaux.
Adieu encore mes enfants, mes amis.
Palmella qui part pour l'Angleterre aujourd'hui vous porte cette lettre. Je le crois bien dégoûté de toute la politique ; ce gouvernement d'Espagne est aussi fier qu'un mendiant espagnol qui tend la main en se disant gentilhomme.
Ma belle-fille ne verra pas une âme ici car tous nos amis sont ou dispersés ou en campagne. Ma maison sera comme celle du d'Osmont en Angleterre. M. Cuvier qui en arrive, dit qu'il y a dîné plusieurs fois, y a vu quelques vieux émigrés français et pas un Anglais, ma fille ne verra pas ici un vieux Français; et les Anglais de sa connaissance partent aussi entre autres les Marleys qui vont en Italie.

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