Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
5 mars 1818

Je vois par ta lettre du 21 que les miennes t'arrivent fort retardées. J'ai pardonné depuis longtemps à lord Landerdole sa paresse, je ne me souviens que de l'amitié qu'il t'a montrée et je le plains de toute mon âme de la perte de son fils, que je sens bien ce qu'écrivait Mme de Sévigné sur madame de Longueville lorsqu'on vint lui annoncer la mort de son fils duc de Longueville tué au passage du Rhin . "Cette malheureuse mère, dit Mme de Sévigné, en voyant ces visages consternés sentit bien qu'il y avait un malheur ; elle demanda des nouvelles de son frère ? Sa pensée n'osa aller plus loin" C'est bien dit tout ce qu'il y a dans cette dernière phrase ! Moi je n'ose même pas penser à ce que peut être cette pareille douleur, mon coeur s'en briserait. Quel est l'ancien qui a dit : Les funérailles des enfants sont toujours prématurées quand les pères (mères dans la citation originale de Diderot) y assistent. Mais où m'entraîne la perte du fils de lord Landerdole . Ah ! chassons bien vite toutes ces horribles idées et puisses-tu me fermer les yeux ainsi que cette bonne Marguerite à qui je recommanderai de soigner mon fils et de gâter mes petit-enfants. Je crois que tu seras un peu pédant en éducation. Si ma chère Marguerite a quelque espérance que je sois grand' mère, qu'elle reste sur sa chaise longue, qu'elle ne se donne aucun mouvement, qu'elle ne se permette aucune émotion ni douce ni pénible. Enfin qu'elle n'existe qu'à demi jusqu'à ce qu'elle ait passé d'un mois l'époque où elle a éprouvé l'accident. Je voudrais même que tu fus dans la maison voisine excepté à l'heure des repas, rien n'est plus à craindre que les émotions. Voilà ce que te crie mon expérience, les médecins d'ici et mon désir d'être grand' mère.
J'ai reçu une grande lettre de lady Holland où elle me parle de l'accident arrivé à son fils à Carfou, de la mort de lord Osserie (?) , pour s'excuser de ne m'avoir pas écrit . Sa lettre est comme si elle n'avait pas été assez mal pour nous pendant son voyage ici, et ma réponse sera tout de même, car ils ont été si bien pour toi au moment de ton arrivée que ses caprices doivent être supportés par nous, comme les sages cachent les querelles de familles sans mettre le public dans leurs confidences; si à la seconde lettre elle me parle du Camoëns pour le duc de Devonshire, je répondrai que ma fille m'en a demandé un depuis longtemps pour cette seigneurerie et qu'il est parti pour qu'elle le lui envoyât elle-même. En effet, je veux qu'elle écrive dessus : de la part de la comtesse de Flahault. A qui puis-je l'adresser à Londres pour elle ? Si tu me réponds à ce que je t'ai mandé de la part de Mme de Vicence, tu me feras plaisir.

J'aime beaucoup ton plan, surtout parce qu'il me fait espérer ; lord Kinnaird voit beaucoup de nuages noirs sur notre horizon qui , je crois, n'éclateront pas de sitôt. Il doit t'en écrire dès qu'il sera à Londres (entre nous) en rendant compte ici, dans ce prétendu complot contre la vie du duc de Wellington ; il s'est mis mal avec tous les partis, les ultras disent des horreurs, les autres n'y croient point, celui qu'il a amené ne parle pas et n'en est pas moins à la Conciergerie ce qui est un séjour assez mélancolique pour un homme condamné à mort par ... a arrêté à l'opéra, quelqu'un a dit ; Ah ! cet infâme Croquembourg (?) ! sûrement il voulait se faire Roi de France car personne depuis le prétendant n'avait été arrêté à l'opéra. Les quolibets pleuvent sur les coups de pistolet du duc de Wellington . C'est malheureux parce que cela irrite tout le monde. Et l'on chauffe terriblement les esprits contre les Anglais tandis que les Russes sont regardés comme des petits saints ; il est vrai qu'ils n'ont jamais blessé l'amour propre national ; que le général Woronsow , très simple dans ses manières, prenant un logement dans un hôtel garni, , parlant toujours avec estime de l'armée française, jette du baume sur les blessures ; et le duc de Wellington, moyennant sa lettre, son excursion au musée, , ses leçons de morale, les a pansées avec du vinaigre, quoiqu'au fond il soit peut-être mieux pour la France que bien d'autres. Enfin, je suis comme Cassandre, je vois que l'on attise des feux que l'on sera peut-être fort embarrassé à éteindre.
On redoute beaucoup ici lesmémoires de Savary que l'on imprime à Londres et je te prie de te les procurer tout de suite et de mander s'il y a de nos connaissances des nommées en bien ou en mal, ce qui serait presque aussi fâcheux dans ce moment.
Palmella m'a demandé, et me demande toujours de tes nouvelles avec une bien véritable amitié. Bouché, le 1er violon de l'opéra qui a été ensuite à Petersbourg et qui a connu le duc d'Aumont et lui avait souvent donné à dîner dans les temps où un dîner était quelque chose pour lui, est ici. Il a été voir le duc d'Aumont qui l'a très bien reçu, lui a offert ses services. Bouché lui a demandé de le faire paraître dans un concert avec sa femme devant le Roi ; quelques jours après, il a reçu une invitation pour venir avec sa femme faire de la musique à la cour. Madame Bouché s'est acheté une belle robe, de belles blondes, , enfin pour 400 francs de parure. Ils se sont evertués, surpassés, et le duc lui a dit que S. M. avait été satisfaite ; quelques semaines après, Bouché a reçu une invitation pour se rendre chez le duc d'Aumont y toucher une gratification, il y a couru, et le secrétaire lui a présenté soixante-et-quinze francs. Bouché les a refusés en repondant que l'usurpateur donnait toujours cinq-cents francs. Le duc d'Aumont s'est beaucoup plaint du malheur des temps, a fort insisté sur le mécontentement qu'éprouverait le R. s'il refusait cette gratification ; enfin Bouché l'a prise, est rentré chez lui a écrit au duc : J'ai l'honneur de vous prévenir que je viens de disposer de 75 francs ainsi qu'il suit : 25 francs aux naufragés de la Méduse, 25 francs à la statue d'Henry quatre, et 25 francs pour l'immortel auteur du Tartuffe et de l'Avare.

Mme Carberg (?) ne m'a pas donné signe de vie depuis son arrivée, aussi je me tiendrai fort tranquille ; en tout je n'ai été contente que de Sire H. et de lady Hamilton.
Adieu mon Charles , que je serai heureuse de te revoir . Cette nuit, il a fait un tel ouragan que les treilles de la maison voisine ont brisé presque toutes les vitres. Les fenêtres, les portes s'ouvraient toutes seules.. et à ... on ne pouvait les fermer...
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... on a les mêmes orages, quoiqu' éloignés. Le beau temps ne s'étend pas si loin actuellement. Je ne veux pas finir cette lettre ma chère fille sans vous bien recommander de vous soigner, de ne pas monter à cheval, de peu marcher, enfin de vous mettre dans du coton pendant quatre mois, de manger des farineux, de ne jamais mettre vos jambes dans l'eau, lavez-vous les pieds avec de la pâte, et encore mettez-y peu d'eau, et à peine tiède. Buvez du ... restez dans votre lit ou sur votre chaise longue pendant l'époque des deux accidents : Oh ! que je vous ennuierais si j'étais près de vous ! Mais aussi comme je vous soignerais car je vous aime ma chère enfant de toutes les forces de mon âme.

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