Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
24 mai 1819

Ah ! Quel bonheur mes chers enfants que Marguerite soit heureusement accouchée ; cette maladie qui avait frappé toute votre maison me causait une terreur que je ne puis exprimer, et depuis la lettre de Marguerite, je ne dormais ni ne mangeais ni réellement respirais, enfin ce qui va te le prouver, en te faisant rire, c'est qu'après avoir lu la bonne nouvelle, je me suis endormie dans mon fauteuil, comme si moi-même j'éprouvais le repos, ce calme qui suit les grandes douleurs. Que j'ai dormi deux heures ! Et que tout le jour je ne pouvais m'éveiller, je riais, je me sentais prête à pleurer, et je retombais dans un accablement que je ne pouvais vaincre. J'avais été si effrayée. D'abord pour Maguerite, et puis pour toi, car dans l'état de faiblesse où tu étais, je sentais tout ce que tu aurais à souffrir pendant les douleurs de Marguerite. Enfin remercions le ciel à deux genoux, et quoique lady Hamilton grogne un peu que ce ne soit pas un garçon, moi j'aime déjà ma petite fille de tout mon coeur. A présent je prie les matrones de me dire si elle aura les grands et beaux yeux de sa mère. Ce qui va t'étonner, c'est que c'est à lady Grey, à l'amiral Flemming que je dois de savoir cette bonne et heureuse délivrance. Leurs lettres me sont arrivées samedi à 11 heures du matin, et je n'ai pas encore la tienne aujourd'hui lundi midi ; sans eux je serais encore inquiète et trois jours de plus de tourment que j'éprouvais, était un supplice, que je leur saurai gré toute ma vie de m'avoir évité.
Papa est ravi de joie, mais comme il faut que la vanité de l'homme se montre toujours, il ne dit autre chose que ne vous l'ai-je pas toujours dit ? Charles est heureux. Il t'embrasse de toute son âme.
Après t'avoir parlé de ma joie, il faut te dire la peine que la lettre de l'amiral Fl... m'a fait éprouver. Dans cette lettre, il m'apprenait la mort du fils de Mme Burrell et ce pauvre M. Burrell est venu tout joyeux me féliciter sur l'heureuse délivrance de ma fille. Sa joie, son attachement pour elle, pour toi, me rendaient son malheur si sensible, si personnel que j'en étais oppressée. Il rit, il est heureux pour nous, me disais-je et dans un moment la plus grande peine va l'accabler. Je ne pouvais pas me résoudre à la lui apprendre ; je sentais qu'une lettre de sa famille la lui adoucirait plus que je ne pouvais le faire, et j'ai appris qu'en rentrant chez lui, un de ses amis la lui a annoncé qu'il est parti tout de suite et comme il aura souffert seul dans cette longue route.
Ma chère fille, je sais par lady Grey que vous avez cruellement souffert et avec un courage surnaturel, pas une minute il ne vous a manqué et que surtout les quatre dernières heures ont été affreuses, que j'attends une ligne de votre main avec impatience pour me dire si vous ne recommenceriez pas toutes ces douleurs de grand coeur pour éviter le moindre mal à cette petite qui ne peut encore rien pour vous, ma chère fille, il me semble que je suis encore plus votre mère, plus celle de Charles depuis ce nouveau lien. Je vous vous embrasse tous deux et la petite de toutes les forces de mon âme.

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