Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
20 septembre 1820

J'ai remis hier au petit Carbonnel les rasoirs dont il m'a paru très satisfait. Jusqu'à présent, il était resté à la campagne mais je lui avais écrit que votre présent était là, qu'il eut à venir le prendre sur ma cheminée si même il me trouvait sortie. Il m'a paru les regarder avec toute la joie d'un enfant. Son cousin arrive ici samedi. Ce pauvre Fabvier a été arrêté avant hier matin, par ordre de la Chambre des pairs et conduit dans leur prison ; on a arrêté aussi M. Combes banqier, neveu de Sieyes, et une douzaine d'autres ; tout cela pour la conspiration. Quelqu'un de bien instruit me disait que l'on n'avait osé l'arrêter que d'après l'invitation du duc de Raguse qui a dit : qu'il fallait l'arrêter, le juger, le condamner, et qu'après il demanderait sa grâce ; ce qui est sûr, c'est que la révolution en ayant été privée, ce grand homme est parti tout de suite pour sa terre. Il craignait sûrement que l'on ne vienne lui demander son appui pour l'arrestation seule, et préfère lui rendre un service éclatant. Personne ne sait encore de quoi on l'accuse car il est au secret. Ce qui est certain, c'est que le jugement devra être prononcé en plein air tant il y a de prévenus et de juges. Je ne vois point de local assez grand pour les contenir. En attendant, l'on fait des chansons. Mais d'après la composition de la Chambre, le jugement ne peut être douteux. Dans les deux pays, la voix des pairs et la voix du Prince. Mais gare qu'hors de là, le proverbe que la voix du peuple est la voix de Dieu ne se justifie. Surtout si par Dieu on entend la puissance, j'en suis effrayée.
J'ai remis à Mme de Bourke les 6 paquets de coton pour Mlle Rosalie, la pauvre fille ne sait ce qu'elle fait ; toutes les broseuses ici veulent du coton anglais comme une fois meilleur pour festonner et broder ; les lacets de laine ne seront faits que le 2 du mois prochain. L'homme ne les avait pas commencés. J'ai aussi remis à Mme de Bourke les rubans de la duchesse de Bedford. Lord Gwydir est parti sans me prévenir de manière que je n'ai pu lui rien remettre. Je ne puis trouver la lingère de lady Lansdowne rue traversière. Cette Mme Billiet était elle en boutique ou en chambre. Si c'est ce dernier, il faut m'envoyer son n° ou à peu près l'endroit de la rue parce que je saurai au 1er logement où elle sera llée si elle en a changé. On travaille pour lady Holland. J'attends la réponse de ma fille pour ses ch... et il faut les faire chaque couleur de la même nuance. Dès que j'aurai sa réponse, je les lui enverrai. Voilà je crois, la réponse à toutes les commissions. A présent je commence ma lettre.

Mes chers enfants, je suis d'une tristesse qui m'accable ; il n'y a pas de jours où je n'entende tous les malheurs qui sont trop vraisemblables à prévoir pour le Portugal. Je les écoute avec attention parce que je crois que cela soulage papa d'en parler, cependant je pense que ces prévoyances lorsqu'on ne peut rien aux choses sont un malheur de plus. Dieu qui nous cache si bien l'instant de notre mort, de celle de ceux qui nous sont chers, ne nous apprend-il pas ainsi que la vie serait un supplice continuel si l'avenir nous était découvert. Je n'ai vu personne qui ne se soumettait à la nécessité. Il faut donc l'attendre sans user ses forces ou la redoutant. Mais comme tout le monde sent différemment, je suis avec papa toutes les fautes passées, toutes les suites à craindre. Et lorsqu'après il part pour le spectacle, je reste moi, dans ma tristesse qui me suffoque. Si je n'avais pas Auguste, je ne sais ce que je deviendrais. Mais il m'intéresse toujours et me distrait quelquefois. Par exemple, il est revenu de son école en disant qu'il avait appris l'histoire de Joseph et qu'elle était charmante. M. Gallois lui a dit : Hé bien, conte la moi, ca je ne la sais pas. Alors après le mais, si, comme, et comment, après qu'il eut conduit Joseph dans le puits, il nous dit : Mais comme le puits était à sec, on le tira de là , et il devint l'esclave de Mme Putiphar ; mais comme il voulut faire des farces à Monsieur Putiphar, il tomba encore dans la peine. Mais, reprit M. G. , quelles farces voulut-il faire à M Putiphar - Oh ! Je ne sais pas, moi, peut-être lui a-t-il menti. Après cette belle paraphrase de l'histoire sainte, mon papier étant fini, je vous embrasserai mes chers enfants de toute mon âme. J'embrasse ma chère petite Emilie. Que je serais heureuse de la revoir douce et gracieuse et chère enfant.
Ma soeur est mieux.

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