Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
15 juin 1822

Je n'ai reçu votre lettre du 29 qu'avant hier, mon cher ami, pendant ce temps je n'avais eu qu'un petit mot pour me dire seulement d'envoyer une lettre à la mère de la gouvernante d'Emilie. J'en étais triste, mais enfin cette lettre du 29 est aimable, bonne , et elle m'a fait du bien. Plus je vais, plus la perte de ma soeur me peine. Je faisais tout pour elle quand j'arrivais. A l'agonie même, elle paraissait si contente. Que je regrette ce bien, cette certitude d'être aimée, dêtre nécessaire à quelqu'un. Pour elle c'est un grand bonheur ; car elle a bien souffert et elle ne devait plus que languir, sans pouvoir espérer de guérison. cependant je n'ai jamais vu tenir si fortement à la vie. Mme de Juigné est venue troubler ses derniers jours en lui parlant beaucoup trop tôt des sacrements et lui donnant la connaissance de son état. Depuis cet instant, quoiqu'elle ait encore vécu trois semaines avec sa parfaite connaissance, elle a toujours eu l'air effrayé quand on entrait dans sa chambre. Elle ne voulait voir personne que moi et aux médecins mêmes elle disait qu'elle était bien, ce n'est que le jour de sa mort qu'elle a reçu ses sacrements avec douleur de se voir mourir car la destruction lui faisait horreur. Enfin, pendant sa vie elle changeait à tout moment de logement et Mme de Bourson, sa belle-soeur, lui ayant demandé pourquoi ? Elle lui avoua que dès qu'elle entrait dans un appartement il lui venait dans l'esprit de se dire : c'est peut-être là que je mourrai, et qu'aussitôt elle ne pouvait pas y rester. Je n'ai jamais eu l'idée qu'on put tenir autant à la vie.
Deux jours avant sa mort, elle m'a dit qu'elle avait une petite ferme en Normandie, elle m'a beaucoup parlé de de prête nom, sans que j'aie pu la comprendre, car elle avait déjà la gangrène dans la gorge. Nous n'avons trouvé dans ses papiers qu'une déclaration de Mme de Juigné datée de 1811 par laquelle elle reconnaît avoir acheter deux acres de terre à un M. Blanchard lesquels appartenaient à Mme de Menars, sûrement cette Mme de Juigné a oublié cette déclaration ou l'a cru perdue, car elle m'a envoyé un billet de ma soeur à son profit, me proposant de le lui payer. Je lui ai répondu : que j'avais accepté l'héritage sans bénéfices d'inventaires, que je ne me mêlais de rien, et qu'il fallait que ses gens d'affaires s(adressassent à M. Boilleau. Si elle t'en écrit, réponds de même ou ce qui sera plus commode fais semblant de n'avoir pas reçu sa lettre car il y a là bien du ... quand je suis revenue de Berlin elle m'a présenté ces mêmes trois mille francs et à la prière de ma soeur, j'ai renoncé à ma part d'une créance qu'avait mon oncle, et qui était dans sa succession. Mme de Juigné a encore écrit à ma soeur une courte lettre que nous avons trouvée et qui est enregistrée dans l'inventaire, par laquelle elle lui promet de lui rendre ce qu'elle touchera de plus que les trois mille francs et elle ne lui a rien donné quoiqu'elle ait touché 4600 francs. Enfin Boilleau est à la tête de cela. J'ai aussi prié Mme de Blaqueville d'interroger le sieur Blanchard.
S'il y a une petite ferme qu'on dit être de 700 francs de revenus, alors tu jouiras immédiatement des revenus de la rente, sinon tu paieras les 18 mois que tu lui as promis d'abandonner à ses créanciers, ce qui fera du 30 Mai, jour où elle est morte au 30 novembre 1823. M. Boilleau admire beaucoup ce bon procédé mais le cache avec soin aux créanciers afin d'être le maître de payer les dettes vraiment sacrées, et quant à Mme de Joigné, il faudra qu'elle explique d'abord les deux acres de terre, de qui elle les tient et à qui elle les a payés.

M. Guerin te prie instamment de lui envoyer tout de suite ton certificat de vie à la date du 23, et plus tard si tu veux, mais pas plus tôt, parce que les rentes viagères se paient le 22 juin, et que si ton certificat était du 21, on ne paierait. Tout ce semestre a été mangé dans sa maladie qui lui a coûté bien cher car elle a essayé tous les remèdes qu'on lui envoyait de partout contre l'hydropisie. Je crois qu'elle a fort avancé ses jours par là, mais elle se cachait fort de moi pour ses essais.
Adieu mes chers enfants, mes lettres vous sont communes, comme mon affection. J'embrasse les petites, et je vous aime tous de toute mon âme. Papa se porte bien, quoiqu'accablé par la chaleur.
Vous aviez bien raison, Mme de Coigny s'est signalée, elle a donné une corbeille de 60.000 francs (dit-on) toute en chiffons ! On allait la voir chez la vicomtesse de Laval m'a-t-on dit, enfin : Gustave s'est marié ce matin, et puisse-t-il être heureux. Il n'est question que de la douleur de Lady Hamilton, je le conçois, et quand après n'avoir pas perdu de vue Emilie pendant 21 ans, vous vous trouverez seuls, vous seriez bien seuls si elle était fille unique.
Heureusement que ma fille va vous donner un garçon, cela est certain, sans compter ma petite Clémentine qui jusqu'ici n'a pas donné d'inquiétude pour sa santé. Je vous embrasse encore tous les quatre.

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