Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
5 septembre 1822

Tout le monde se plaint de vous, mon enfant, parce qu'on n'a point de vos nouvelles. Hier, M. de Poppenheim m'en demandait, et j'ai été obligée de mâchonner que vous étiez tous très bien. Lui, était rouge noir et j'ai bien peur que cet excellent homme ne tombe en quelque apoplexie ; malgré cela, il m'a bien dit de vous faire ses compliments. Je ne suis qu'à la 11ème feuille de mon in-8° et chaque feuille a 16 pages. Il y en aura 30 in-8° mais je suis obligée quelquefois de demander jusqu'à trois épreuves de chaque feuille. Cela tire mon esprit et mes yeux. Pendant que je suis à la chasse aux mots, j'ai demandé ce matin à Auguste le sens de différents mots, et j'ai été surprise de la clarté de ses réponses. C'est un grand point que la clarté dans l'esprit. Par exemple, je lui ai demandé ce qu'il entendait par médiocrité dans la fortune, il m'a répondu : un état entre la pauvreté et l'abondance. Et dans l'esprit ? il m'a dit : moi je suis médiocrité, toi tu as de l'esprit, mais quand je serai grand, je ne serai peut-être pas médiocrité.
Nous allons faire un jeu pendant les vacances, nous placerons le dictionnaire de l'académie entre nous deux et chacun à son tour, l'on demandera à l'autre la signification d'un mot, celui qui aura le mieux dit sera le moins médiocrité. C'est une avance énorme pour bien parler que de savoir le sens des mots, et s'il pérore un jour à la Chambre, je l'aurai accoutumé jeune à mesurer ses expressions? Je n'ai point voulu trop lui expliquer qu'il avait tout l'esprit naturel qu'à son âge on pût avoir, et que sa médiocrité tenait plus au manque d'instruction que le temps lui donnera ; qu'un peu de lumière, mais il l'a fort bien senti, et m'a dit : Tu verras quand je ne serai plus sourd, et quand je serai grand !
Il est malheureusement trop vrai que le pauvre enfant est bien sourd, on lui fait prendre à présent des eaux d'Enghien, cela me paraît lui faire du bien. Le maire dit que cela tient à ses dents et je vais vous quitter pour lui en faire arracher une de lait qui gêne les nouvelles. Il est sûr que sous ce rapport il est bien retardé car il va avoir 11 ans, et il n'a que 8 dents renouvelées, mais voilà assez de lui. Je me porte beaucoup mieux quoiqu'accablée de travail. M. de Souza est mieux aussi. Comment êtes-vous, ma chère fille ? Voilà un temps superbe et j'espère que ce petit garçon naîtra un véritable enfant du soleil et qu'il éclairera le monde. Si c'est une petite fille, elle le brûlera, comme on disait des yeux de Madame de Grignan. Adieu, mes chers enfants, je vous embrasse tous quatre de tout mon coeur. Je bénis ce 5ème et je puis vous souhaiter hardiment d'être tous aussi heureux que mon coeur le désire. Alors il ne vous manquera rien je vous assure.

Mot d'Auguste Demorny :

Mon ami Charles, je t'embrasse de tout mon coeur. Je bois des eaux d'Enghien, c'est une infection comme les eaux de Barrège. Plains-moi pour me faire plaisir et je suis ton serviteur et ton ami Auguste.
Mes respects à Madame de Flahault. J'embrasse bien les petites et je suis en vacances.

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