M. de Vaudreuil à lady Elisabeth Foster
Berne, 15 septembre 1789

M. le marquis de Rivière m'a remis hier votre lettre. Les marques d'intérêt et d'amitié dont elle est remplie m'ont été bien sensibles ; mais j'ai appris avec une grande peine que vous alliez partir pour l'Angleterre. Je me flattais que vous viendriez en Suisse, ou que vous iriez en Italie, et j'ai de la peine à renoncer à ce doux espoir.
Notre courage nous soutient toujours, ma chère mylady ; mais nous sommes cruellement affectés des maux de notre pays ; ils s'aggravent chaque jour, et il est impossible d'en prévoir le terme. Il y a un vague effrayant dans notre avenir, et, à la longue, on s'aigrit et on s'indigne contre la méchanceté et l'ingratitude des hommes. Le sort du Roi et de la Reine, celui de M. le comte d'Artois nous occupent douloureusement. Renoncer à son pays, à son état, à des amis qu'on laisse au milieu des horreurs de l'anarchie, découvrir beaucoup d'ingrats, perdre sa fortune, la tranquillité de sa vie à l'âge où on a besoin de repos sont des sacrifices bien coûteux ; et voilà notre sort, sans prévoir quand il pourra changer !
Je crains toujours que l'extrême sensibilité et les faibles santés de mes amis ne les fassent succomber à leurs peines. Ce n'est pas pour moi que je suis inquiet ; je n'ai jamais calculé pour moi, et je sais mourir ; mais je frémis pour eux. La calomnie les poursuit jusque dans leur retraite ; et plus ils sont purs, plus les méchants sont intéressés à les attaquer.
Plaignez-nous, aimez-nous, et ce sera un grand dédommagement. Nous partons le 1er octobre pour Rome. La présence et la philosophie du cardinal nous seront d'une grande ressource, et le climat fera du bien à mes amis. J'espère que vous nous y donnerez de vos nouvelles ; et, si notre pays ne s'amende pas, il y a à parier que nous passerons le printemps et l'été prochain en Angleterre, et peut-être le reste de notre vie.
Dites mille choses tendres pour moi à la duchesse, et recevez avec bonté l'hommage de mon tendre et respectueux attachement.

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