M. de Vaudreuil à lady Elisabeth Foster
Namur, 1er août 1789

Je suis bien fâché, aimable milady, que les circonstances aient positivement empêché mon compagnon de voyage d'aller à Spa. J'aurais goûté une véritable consolation en vous voyant et en parlant de mes peines à deux personnes qui, j'en suis sûr, y prennent un vif et tendre intérêt ; j'aurais eu un grand plaisir à vous entretenir de notre rspectable et malheureuse amie, qui soutient ses revers avec un courage plus qu'humain et avec la force que donne la bonne conscience.
Nous allons la rejoindre. Comment ai-je pu m'en séparer ? Quelle marque d'attachement j'ai donnée à mon companon de voyage en le siovant par une route opposée à celle que tenaoent mes amies ! Nous en avons eu des nouvelles fraîches ; ils sont tous en bonne santé ; dans douze jours, je serai avec eux, et j'oublierai une partie de mes maux. Ma santé se soutient en dépit de mes chagrins, et mon âme, plus sensible que jamais, me donne des forces.
Recevez et faites agréer à votre aimable amie les tendres assurances de mon attachement et de mon respect.
Vous pourrez m'écrire, si vous avez cette bonté à Bâle, en Suisse, poste restante.
Nous partons demain.

Ce 25,
J'ouvre ma lettre pour y ajouter l'article d'une lettre que notre hôte vient de recevoir de son père, et cette nouvelle (à laquelle je ne crois pourtant pas) lui est confirmée par une lettre, que M. Sturler a reçue en même temps de sa soeur. Cette dernière lettre est datée du 23, de Lausanne. Voici l'article, tel que je l'ai transcrit :
"Les provinces ont désapprouvé leurs députés aux Etats-Généraux, comme ayant dépassé leurs pouvoirs. Les résolutions du 4 août et depuis le 4 août sont annulées. L'autorité du Roi est réservée, ainsi que la comptabilité des ministres, et l'égalité des impôts du royaume. Les villes de Paris et de Lyon ont accordé un pour cent de leurs revenus, ce qui produit cent millions. Monseigneur comte d'Artois et la famille des Polignac rappelés dans le royaume. Les lettres disent que ces nouvelles sont arrivées à Genève par des courriers envoyés exprès."
Je ne crois pas entièrement ces nouvelles ; mais je crois qu'en effet plusieurs provinces auront ouvert les yeux sur l'extravagance des décisions de l'Assemblée Nationale, et auront témoigné leur mécontentement.
La poste va partir, et je ne puis attendre l'arrivée des lettres de Paris, qui peuvent être aujourd'hui très intéressantes d'après ces avant-coureurs. Si elles nous apportaient des nouvelles décisives, nous vous enverrions un courrier ; mais je suis bien loin de croire qu'on en soit encore là. Si les provinces s'étaient prononcées, méditez, Monseigneur, la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire par Pichard ; je me croirais un peu sorcier.
Ces nouvelles soulignées que je vous envoie sont répandues à Genève, à Lausanne et à Berne ; et la joie y est extrême. On s'empresse de nous témoigner relativement à vous, et un peu à nous, des transports obligeants et touchants. Quels que soient les partis que vous prendrez, ne vous pressez sur rien, et consultez le roi votre beau-père. J'en reviens toujours là, et je vous renouvelle tendresse, dévouement à la vie et à la mort.

P.S. Si ces mouvements des provinces sont vrais, je suis persuadé qu'on les devra à M. Necker, qui a perdu son influence sur Paris et sur l'Assemblée Nationale, mais qui l'a conservée dans les provinces. Si cela est, il a joué, et bien joué son jeu, et on lui devra le rétablissement de l'ordre et de l'autorité. Alors j'oublierai de bon coeur le mal qu'il a fait sans le vouloir, en faveur du bien qu'il aura produit. Celui qui répare a un mérite bien grand et bien rare, et, à ce prix, j'abjure pour jamais mes préventions, et je poserai la première pierre du piédestal de sa statue.

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