M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Venise, 11 septembre 1790 - n° 58
Je ne vous écrirai qu'un mot, Monseigneur, pour vous donner des nouvelles de votre amie, qui a eu une petite indigestion hier matin ; mais elle en est absolument quitte et se porte à merveille aujourd'hui. Elle a dormi d'un très bon sommeil, et cette incommodité est à présent comme non avenue.
Mme de Polignac a été beaucoup plus malade hier dans la nuit ; elle a eu des coliques et des vomissements, causés par l'abondance des humeurs ; elle a pris ce matin de l'émétique pa ordonnance de son médecin, qui nous assure que cela n'aura aucune suite. Je crois en effet qu'elle n'aura pas de maladie ; mais il n'en est pas moins vrai que les chagrins ont terriblement altéré
sa santé, et que mon pauvre coeur est brisé par tous les côtés.
Je vous supplie, Monseigneur, de vouloir bien me rendre un petit service. Le marquis de Vaudreuil, croyant son fils avec moi, m'a envoyé un mandat de deux mille vingt et une livres seize sols huit deniers, tiré sur le duc de Polignac, dont le marquis de Vaudreuil a remis à Paris le montant à M. du Mousseau, qui loge à l'hôtel de Matignon. Comme le change est fort cher à Venise et qu'il faudrait encore supporter la passe d'une lettre de change de Venise à Turin, le duc de Polignac m'a consellé de vous envoyer le mandat, en vous suppliant d'en payer le montant à mon jeune cousin en retenant le change suivant le cour du jour à Turin, et ensuite de renvoyer ce mandat à vos gens d'affaires, qui s'en feront rendre le montant par M. du Mousseau, à qui ils remettront ce mandat. M. du Mousseau en sera prévenu. Par ce moyen vous éviterez bien des frais, qui ôteraient à mon jeune cousin une partie de son petit trésor, qu'il destine à être en état de vous suivre. Je préviens le petit Vaudreuil et son père de ce que j'ai l'honneur de vous demander.
J'ai lu le mémoire adressé au Roi par la commission établie pour l'administration de vos finances ; et j'avoue que j'en ai été extrêmement content. Votre amie me dit que vous n'en êtes pas aussi content, et cela m'étonne. Cette lettre est adressée au Roi, et point à l'Assemblée, n'est nullement contraire à vos invariables principes, et établit, de manière à rassurer vos créanciers, vos droits réels. Je trouve cette lettre infiniment adroite dans les circonstances, et elle pourra par la suite vous être fort utile pour réclamer vos droits de succession, que l(auguste sénat annule pour l'avenir, mais qu'il n'a pas pu infirmer pour le passé en donnant à son sublime décret un effet rétroactif. Ce mémoire constate même les justes réclamations que vous aurez à faire dans la suite, et prouve que les prétendues grâces exagérées que le Roi vous a faites n'étaient que l'acquit d'une partie de vos droits.
Votre amie m'a dit que M. de Montbazon et le prince de Léon se rendaient garants de la bonne foi d'Archambaud. Je ne pense pas que vous deviez fermer tout retour à ceux qui, n'ayant pas marqué personnellement dans la révolution, voudraient se ranger aux vrais devoirs de tout gentilhomme. Quelle qu'ait été la conduite de l'évêque, cela ne doit pas influer sur son frère, s'il se repent. J'aimerais mieux qu'il ne vînt pas à Turin, et, si vous pouvez l'en dissuader encore, faites-le ; mais, s'il y arrive, employez tous vos droits pour empêcher une esclandre, qui serait fâcheuse, peut-être injuste.
Je n'ai rien à ajouter à tout ce que je vous ai mandé par le marquis que le renouvellement
de mon respect, dévouement et tendresse pour mon cher prince.
Voulez-vous bien vous charger de cette lettre pour mon jeune cousin ? Et voulez-vous bien me permettre de vous le recommander ? Il est digne de vos bontés par l'envie qu'il a de les mériter et par l'honneur qui fait bouillir son jeune sang.
retour vers la correspondance de M. de Vaudreuil
|