M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Florence, 16 mai 1790
- n° 35

Il faut que je vous gronde également du trop de confiance de la lettre que j'ai reçue avant de partir de Rome, et du noir excessif qui barbouille celle que je reçois ici. Ce que vous trouviez si facile dans la première m'a paru impossible pour le moment ; et ce que vous me mandez dans celle-ci me paraît beaucoup trop noir. Je vous avais aussi annoncé cette défiance et cette lenteur dont vous vous plaignez ; il faut donc vous armer plus que jamais de sagesse et de patience. Vous avez près de vous des motifs de consolation qui soulageront vos peines.
Je n'attends plus de vos nouvelles qu'à Venise, où nous serons le 27 au plus tard.
Je frémis du moment où nous annoncerons à Mme de Guiche la mort de Mme de Piennes ; elle la croit guérie, et est dans une sécurité entière et qui nous déchire. Mes malheureux amis en sont accablés, et, avec la mort dans l'âme, ils sont obligés de montrer un visage tranquille et riant, jusqu'à ce que l'époque où se trouve Mme de Guiche soit passée. Ce sera dans deux jours, la veille même du jour où nous partirons d'ici. Nous lui remettrons alors la lettre de Mme de Polastron que, jusqu'à présent, nous avons gardée, et elle y verra les marques de son amitié. Nous n'avions pas besoin de ce surcroît à nos peines.
Ma santé est meilleure. Le voyage m'a fait plus de bien que de mal ; dois-je m'en réjouir ou m'en affliger ? Je sais du moins que vous vous en réjouirez.
On dit que nous arons un charmant établissement à une campagne, près de Venise ; mais je regrette ce divin cardinal, dont les conversations m'étaient d'un grand secours, et qui avait pris pour mes amis la plus tendre amitié et la plus profonde estime. ce digne homme est inconsolable de notre départ.
Nous allons être près de quinze jours sans nouvelles. Puissent celles que nous apprendrons à notre arrivée mettre sur les plaies de nos coeurs un baume salutaire !
Adieu, aimez toujours votre vieux serviteur et votre plus tendre ami.
Mes amis vous présentent leurs tendres et respectueux hommages.

retour vers la correspondance de M. de Vaudreuil