M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Rome, 4 mai 1790
- n° 34

J'ai bien envie de me réjouir de ce que vous me mandez, Monseigneur ; mais cela ne frappe pas encore mon esprit d'une manière à chatouiller mon coeur. Ce que vous avez appris de Londres n'est pas fort clair et ne remplit pas parfaitement une des deux conditions imposées.
Quant à la liberté qu'on exige, et qu'on a raison d'exiger comme seconde condition, lq. a beau vous la promettre comme facile, je n'ose encore m'en flatter. C'est précisément parce qu'on vous dit cela facile, que je suis moins confiant. Tous les calculs rendent cette sortie bien difficile, précisément parce qu'elle est bien essentielle. Ne soyez donc ni confiant, ni timide ; c'est le milieu si important qui assure le succès des grandes entreprises.
Nous partons demain. J'espère recevoir de vos nouvelles à Florence à notre retour de Livourne. J'espère aussi que vous aurez pensé que là, plus qu'ailleurs, on décachète les lettres, et que vous avez eu confiance en mon intelligence pour entendre à demi-mot.
Le duc de Polignac m'a lu la lettre qu'on lui a écrite. Elle est, comme vous me le mandez, un peu emphatique ; mais elle est bien. Il faut en retrancher cependant l'aricle des succès que j'aurais en Hollande près de la stathouderesse. Il me manque, hélas ! la première condition des succès en ce genre !
Mais un article de cette lettre qui m'a beaucoup frappé, c'est ce qu'on mande de Metz et de Bouillé. Si cette nouvelle est vraie, pourquoi ne m'en parlez-vous pas ? Vous n'êtes pas de ceux qui hésitent à avouer qu'ils se sont trompés, et à rendre justice à ceux qu'on avait injustement accusés. Je voudrais que cela fût avant tout, parce que, malgré vos assertions et celle de votre dernière lettre, j'ai osé douter ; je me suis même refusé à croire de cette part une infidélité possible.
Je reçois votre lettre aujourd'hui, et c'est demain que je pars ; mais, avant de partir, j'instruirai le bonhomme de l'article du Pape. Le bonhomme a bien tenu parole, et sait, mieux que qui que ce soit au monde, ce qu'il fallait faire et ne pas faire, écrire et ne pas écrire, pour inspirer confiance au loin. Vous voyez que sa direction a été bonne. Réfléchissez beaucoup à ce que je vous mande à son sujet dans ma dernière lettre, et croyez que c'est le mieux possible dans cette circonstance. Nous partons avec un vif regret de quitter l'excellent cardinal, dont les soins, les conseils, les consolations agissent dans tous les coeurs qu'il veut charmer.
On nous marque en général des regrets flatteurs, et, dans le fait, nous ne serons nulle part aussi bien qu'ici ; mais nous nous rapprocherons un peu de vous, et votre coup de sonnette sera plutôt entendu par votre plus fidèle serviteur. Ma santé va mieux, et j'ai encore des bras et des jambes, et surtout un coeur chaud et loyal et bien dévoué.
Je veux écrire d'autres lettres où vous êtes, et je vous quitte pour un autre vous.

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