M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Vicence, ce mardi 14 juin 1791
Le duc n'est pas encore revenu, Monseigneur, mais il était décidé à ne pas quitter, tant qu'il resterait quelque chose en arrière ; je compte cependant qu'il sera ici le 16. Je n'ai donc rien de nouveau à vous mander, et c'est uniquement de mes amis et de moi que je veux vous parler.
Mme de Polastron attend le retour du duc pour partir et que son fils, déjà guéri de sa maladie, ait repris assez de forces pour bien supporter le voyage. La comtesse Diane est visiblement beaucoup mieux depuis quelques jours, et je commence à espérer qu'elle gagnera beaucoup en perdant. Il me paraît clair qu'elle joue à qui perd gagne. Les eaux de Valdagno font toujours le même bien à Mme de Polignac. Pour moi, à mesure que l'espoir s'établit dans mon coeur, mes forces s'accroissent.
Avez-vous fait une réflexion, Monseigneur ? C'est que M. de Barentin est toujours garde des sceaux
et chancelier en survivance, par conséquent l'homme nécessaire à avoir près de vous pour présider les parlements. Je sais que les parlements le désirent et y comptent. Il est à Milan et attend vos ordres. Rien ne peut légalement se faire sans lui, et les parlements sont aussi importants que les armées. D'ailleurs vous connaissez la pureté de ses principes, et les parlements l'estiment et ont confiance en lui. Séguier a dû aller à Worms. J'espère qu'on vous l'aura dit.
Las Casas viendra ici dès que le duc sera de retour. Son zèle est invariable et infatigable.
On mande de Paris (c'est Cazalès) que la confiance de la Reine est à présent pour Beaumetz, qui est un scéléra très dangereux et très habile ; qu'il y a des querelles fréquentes entre le Roi et la Reine, mais que la Reine vient à bout de tout, en faisant peur au Roi. Montmorin a dit à Cazalès : "Le comte d'Artois et tout ce qui l'entoure sont des fous. Je suis instruit et je sais positivement que les puissances ne feront rien pour lui !" Cazalès a levé les épaules et lui a tourné le dos.
Les Jacobins ont envoyé pour deux millions d'assignats en Brabant et à Liège, avec permission de les échanger et d'en distribuer le montant pour essayer encore de produire quelque insurrection. Le vicomte de Noailles est allé avec quatre mille louis en Alsace et en Lorraine pour remuer et corrompre. Cazalès lui a annoncé qu'il y serait pendu : le héros a pâli, et il est parti.
Voilà tout ce que j'ai appris ; mais vous êtes plus à portée d'être bien instruit que moi. J'attends avec bien de l'impatience le résultat du retour de Christin.
Recevez avec votre bonté ordinaire, Monseigneur, mes hommages, tendresses, respects et voeux.
Toute la colonie vous offre mêmes sentiments.
retour vers la correspondance de M. de Vaudreuil
|