M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Vicence, ce dimanche 5 juin 1791

Je n'aurai l'honneur de vous écrire qu'un mot aujourd'hui par la poste, me réservant d'écrire en détail et plus sûrement par le retour de votre courrier, qui est arrivé vendredi 3 au soir, à onze heures, à Venise. J'ai lu et communiqué à Las Casas les dépêches qu'il apportait, transcrit ce que vous m'avez ordonné, écrit longuement au duc de Polignac qui est à Milan depuis huit jours, et je lui envoie toutes les différentes instructions que renfermait le paquet. Le courrier a dû y arriver ce matin de très bonne heure. J'attendrai la réponse ou le retour du duc de Polignac pour vous renvoyer Denis. Las Casas a trouvé les dépêches apportées par Denis si intéressantes qu'il m'en a demandé copie, et a fait sur le champ partir un courrier pour l'Espagne ; il en fera repartir un autre incontinent après le retour du duc de Polignac, et trouve que ce n'est pas le cas de ménager les courriers.
Nous n'avons reçu qu'un mot du duc de Polignac depuis son départ. Ce mot dit qu'à son arrivée il a trouvé plus d'orages et d'obstacles qu'il ne s'y attendait ; mais que l'horizon s'est éclairci, qu'il commence à être content, et qu'il ne quittera pas que tout ne soit fini. J'ai lieu de croire qu'il y a du baron de Vreteuil et du Bombelles dans tout ceci, parce que ce dernier a mandé du pied du mont Cenis à Las Casas qu'il allait à Milan.
Le mémoire que vous nous avez envoyé est bon dans tous les points, et donnera de grands moyens au duc de Polignac ; c'est l'opinion de Las Casas.
On me mande de Rome que l'Espagne est prête, et qu'un seul mot de l'Empereur qui est attendu avec impatience suffira pour tout presser, pour tout décider.
Le duc de Polignac mande encore à la comtesse Diane que le voyage de Vienne sera avancé. Ceci est d'un bon augure ; mais, comme il écrivait par la poste, il n'a pas pu s'expliquer davantage. Le retour de Denis ou celui du duc de Polignac éclaircira tout. Denis reviendra à Vicence, d'où nous l'expédierons ; Las Casas s'y trouvera, et c'est par cette raison que le courrier ne partira que d'ici, parce qu'il était indispensable que Las Casas fût instruit de tout.
Les derniers incidents que vous nous apprenez ne m'ont pas beaucoup effrayé ; au contraire j'y vois de nouvelles raisons de tout espérer. Vos intérêts sont en bonnes mains, étant confiés au duc de Polignac ; celui-là ne se chargera pas de double mission.
Nous sommes de retour ici d'hier au soir, et nous avons trouvé tous nos amis en bonne santé. Le retour du courrier ou du duc de Polignac m'apprendra à quelle époque je partirai pour vous rejoindre.
Vrasemblablement votre courrier vous portera nos paquets avant que vous receviez cette lettre ; mais, comme il peut y avoir quelque retard inattendu, à tout hasard je vous écris par la poste pour vous rassurer si le retour de Denis était différé.
Recevez avec votre bonté ordinaire mes respects et mes tendres hommages, et tous ceux de la colonie.
Le 16 mai, date de la lettre du Roi, Christin aurait dû être arrivé à Paris ; cela m'inquiète. Ce que vous a fait dire Bouillé me fait grand plaisir ; soignez beaucoup ce moyen et cet homme. J'espère que le retour des deux envoyés aura coulé à fond le baron de Breteuil ; cela est bien important. Ah ! quel homme ! Je n'écris pas à Calonne pour ne pas multiplier les écritures.

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