M. de Vaudreuil au comte d'Artois
Vienne, ce 9 novembre 1791

Quelques raisons, dont je vous rendrai compte, retardent mon départ de deux ou trois jours ; mais je partirai sûrement samedi 12. En outre d'une raison impérative et que vous approuverez, j'ai eu, pour ne pas partir aussi promptement, le motif de ma santé, de vives douleurs d'entrailles, mais plus que tout cela, je l'avoue, la peine de quitter mes amis peut-être pour longtemps, peut-être pour... Je m'arrête car je ne partirais plus. Vous concevrez plus aisément que personne ce qu'il m'en coûte, parce que vous connaissez l'amitié, et parce que vous connaissez mes amis.
Vous vous chargerez donc de mes excuses auprès de Monsieur, qui sûrement ne doute pas de mon zèle, et vous voudrez bien lui dire que, Flachslanden m'ayant écrit que rien ne pressait mon retour et que vous me l'aviez mandé, j'ai cru pouvoir, sans lui déplaire, prendre cinq à six jours de plus. Je n'ai pas reçu cette lettre de vous que Flachslanden m'a annoncée de votre part, et je conviendrai que j'ai eu un peu d'humeur. Qui en a eu bien davantage ?... vous le devinerez aisément. Je vous préviens qu'on vous boude bien fort pour n'avoir pas écrit un mot, un seul mot depuis mon départ de Coblence. On espérait que ce mot serait : "Restez encore", et on l'attendait avec bien de l'impatience.
Je partirai d'ici peu content en apparence ; mais je pars persuadé pourtant que la bonne volonté y est, et que l'on attend des circonstances pour se prononcer, et qu'on cache avec soin des projets dont on craint surtout de laisser pénétrer le mystère avant terme. La poste ne me permet pas de vous en dire davantage.
Daignez vous charger de dire à Calonne que je ne lui écris pas, parce qu'il ne répond jamais, pas plus que vous.
Je suis fâché que Roll ait pris trop tôt, à mon sens, son parti. je pense qu'il est pressant de le renvoyer à son poste.
J'ai su qu'une de nos plus aimables amies a été incommodée ; mais j'ai appris avec joie que son incommodité n'a pas eu de suites. Mme de Guiche m'a dit de sa part que je pouvais rester quelques jours de plus.
J'espère que quelques bonnes âmes se seront occupées de m'avoir un bon et chaud logement, et qu'il y aura de quoi y loger Pauline. J'ignore absolument si le marquis de Vaudreuil est arrivé à Coblence, et je n'ose, moyennant cela, lui écrire.
Je ne conçois pas que nous n'ayons pas encore reçu de réponses aux dépêches portées par Fontbrune et à celles portées par Chabannes.
Je m'attends à quelques productions du séjour d'Ems. Je m'y attends d'autant plus que la première production en annonçait une seconde, qui tarde trop.
Vous allez voir M. le comte d'Oxenstiern, et je vous en félicite. Je voudrais que vous vissiez aussi arriver Las Casas ; j'ai lieu de l'espérer.
On me charge, malgré l'humeur, de joindre à mes hommages ceux de toute la colonie.

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