M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 21 mai
1792

Le départ de Froment a été retardé par plusieurs raisons et entre autres par celle de l'argent ; mais enfin il part.
Notre position n'a point changé ; ainsi j'ai peu de choses à ajouter à cette lettre. Je vous dirai seulement que la marche des Autrichiens et Prussiens en aussi grand nombre ne nous laisse pas sans inquiétudes. Timeo Danaos et dona ferentes. L'Espagne peut donc seule , unie à la Russie, s'opposer à un démembrement peut-être projeté et défendre les pures bases de notre constitution. Si on y souffre la plus légère atteinte, le plus petit changement, nous retomberons dans de nouvelles crises. Comme vous le dites fort bien, ce n'est qu'avec les forces constitutionnelles inhérentes à la constitution même et conservatrices de la constitution qu'on peut y mettre des modifications ; mais le moment n'y est pas propre. Si le roi de Sardaigne veut jouer un beau rôle, nous lui en fournirons bientôt les moyens, et il aidera beaucoup et sans risque, sans frais, à la pacification des provinces méridionales ; mais ce plan n'est pas encore au net et n'est pas communiqué à Froment. Vous en serez inqstruit à temps.
Nous savons que Barthélémy en Suisse est l'agent du baron, qui correspond vivement avec lui. On trouve cet infernal homme partout, malgré les protestations qu'il fait de son dévouement aux Princes. Il vient d'envoyer ici son bras droit, l'évêque de Pamiers, pour faire l'apologie de sa conduite, et l'infâme a eu l'audace de rejeter sur le Roi tout ce qu'il y a de louche dans la conduite du baron. Quelle horreur ! Mon ami, j'en suis venu au point de haïr vigoureusement les hommes et d'en excepter un très petit nombre d'individus. Concluez-en que j'en aime plus vivement ceux que j'aime encore, et calculez aussi mon amitié pour vous.
L'abbé d'Eral n'est pas encore arrivé, et Fonbrune est allé à Vienne. De pareils courriers n'avancent pas les affaires.

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