Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Dusseldorf, ce 25 décembre 1792

Le procès du Roi est imminent. La régence. Secours pécuniaires envoyés par Catherine II.

Je suis si pressé par un courrier auquel je ne m'attendais pas, et j'ai tant d'affaires, que je charge le baron de Roll d'écrire à Jules les détails de notre marche et ce qui concerne encore nos malheureux régiments.
Nous avons passé quinze jours assez tranquilles ; mais nous ne sommes pas faits apparemment pour avoir du repos, car non seulement nous sommes obligés de partir précipitemment, pour aller nous enterrer dans une petite ville de la Westphalie, mais nous sommes encore dans l'incertitude sur nos voyages, et nous avons reçu des nouvelles de Paris plus effrayantes que jamais.. Le trop malheureux Roi doit être jugé à présent, et il est hors de doute qu'il sera condamné. Notre seul espoir est donc que la Convention mettra un sursis à son jugement, afin de le garder pour otage ; mais il est encore fort douteux que la Convention puisse le soustraire à la rage du peuple, quand même elle le voudrait . Je ne puis te rendre l'horreur que tout cela inspire. On ne dit pas un mot de la Reine, ni de ma pauvre soeur. Il est nécessaire que le duc de Polignac ,se prépare à presser fortement pour la reconnaissance de la régence. (L'idée d'une régence avait été conçue par les Princes aussitôt après l'arrestation de Louis XVI à Varennes. Dans un mémoire qui porte la date du 20 août 1791, ils recommandaient à l'Empereur une séie de mesures à prendre d'urgence, et, dans le nombre, ils demandaient la "déclaration de l'exercice de la régence, dévolu à Monsieur par droit de naissance, et devenue nécessaire par l'impossibilité de laisser plus longtemps le royaume sans gouvernement" . (Vivenot, Quellen, etc. t1, p.231, et, Fersen, Correspondance, tI, p. 163) Pendant que les Princes faisaient cette démarche auprès de l'Empereur, Marie-Antoinette écrivait à M. de Mercy (le 21 août 1791) : " Vous connaissez par vous-même les mauvais propos et les mauvaises intentions des émigrants. Les lâches, après nous avoir abandonnés, veulent exiger que seuls nous nous exposions et seuls nous servions tous leurs intérêts. Je n'accuse pas les frères du Roi..., mais ils sont entourés par des ambitieux qui les perdront, après nous avoir perdus les premiers. Arneth, Marie-Antoinette, Joseph II und Léopold II, p. 204), si le malheur arrive.
Nous avons reçu, il y a quelques jours, un excellent courrier de Russie ; non seulement l'impératrice n ous témoigne plus d'intérêt et d'amitié que jamais, non seulement elle écrit toujours avec la même justesse d'esprit et la même fermeté sur nos affaires ; mais, avant d'avoir reçu notre courrier, elle a prévu notre embarras, et elle nous a donné encore 250.000 roubles. Ce secours est arrivé bien à propos ; il nous donnera les moyens de faire nos voyages et de secourir la noblesse.
Ne parle de cela à personne, excepté à mes amis ; mais, comme nous ne voulons pas encore parler au ministère de Vienne, aie soin qu'il ne le sache pas.
Adieu, adieu, mon bon Vaudreuil. Mon amie va se rapprocher du chemin de Vienne, et aussitôt que j'aurai la réponse de Russie, elle ira vous joindre. Je ne te recommande rien sur cela ; je m'en rapporte à toi.
Embrasse tous mes bons amis pour moi, et compte plus que jamais sur ma vive tendresse. Je t'embrasse de tout mon coeur.

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