Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Hamm, ce 28 décembre 1792

Secours d'argent de Catherine II - Mme de Polastron - Procès du Roi

J'ai reçu, il y a huit jours, mon cher ami, la dépêche de Jules en date du 28 novembre ; mais nous n'avons jamais pu déchiffrer la lettre du 20, parce que, dans la culbute générale occasionnée tant par la retraite que par le départ de M. de Calonne, les chiffres se seront trouvés égarés, et Courvoisier ne sait pas où ils sont. Cela est réellement odieux. Mais nous tâcherons de le réparer par le premier courrier que nous enverrons à Vienne, ou bien j'enverrai un chiffre à mon amie qu'elle portera à son frère.
Vous savez tous nos malheurs ; ainsi je ne t'en parle plus. Nous nous occupons maintenant à employer les bienfaits de l'impératrice pour soulager les malheureux émigrés, et nous les ferons vivre pendant quelques mois.
Nous sommes retirés ici sous la protection du roi de Prusse ; il y a très peu de monde avec nous, et je ne connais rien qui ressemble davantage à la Trappe. Encore serais-je trop heureux, si mon amie était avec moi ; mais comme je comptais recevoir le courrier de Russie d'un jour à l'autre, j'espérais ne rester ici que fort peu de jours et, les chemins étant presque impraticables dans cette partie-ci de l'Allemagne, j'ai cru qu'il valait mieux, en quittant Düsseldorf, l'engager à s'acheminer tout doucement vers Vienne. Mais il m'est trop prouvé que j'ai fait une bêtise ; non seulement le courrier de Russie n'est point arrivé, mais nous avons de fortes raisons pour croire qu'il retardera encore une ou deux semaines pour le moins, et, sans vouloir trop philosopher, je trouve la vie si courte qu'on est par trop dupe de perdre quelques instants de bonheur. D'ailleurs, comme tu le sais, mon amie ne doit partir pour Vienne que quand ma marche sera arrêtée, et elle reste m'attendre à Francfort ou aux environs.
Nous attendons en frémissant les nouvelles de Paris. C'est le 26 que le Roi a dû être jugé définitivement. Il est bien difficile de conserver de l'espoir ; cependant quelques lettres parlent d'un simple bannissement, mais on n'ose pas s'en flatter. Ah ! mon ami, que d'horreur ! On en est assommé.
Du reste, rien de nouveau dans nos cantons. Clerfayt est toujours à Cologne. On dit que Dumouriez se retire sur Bruxelles ; mais Custine est toujours maître des faubourgs de Cassel.
Compte sur un courrier pour les grandes nouvelles. Je n'ai voulu t'écrire que pour te dire que ma santé physique est bonne, pour te répéter que je t'aime du plus tendre de mon coeur, et pour te charger de dire à mes amis que je ne les ai jamais plus tendrement aimés et que je me croirai heureux que le jour où nous serons tous réunis.
Il faut que Jules sache ce que la cour de Vienne fait pour le camp de M. le prince de Condé, et qu'il nous le mande.
Flachslanden est chargé de répondre à ses dépêches.

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